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Jukka-Pekka Saraste et le Philharmonique de Rotterdam - Concert expérimental - Compte-rendu


Passons sur une Suite de Danses en couleurs crues et trop battue : la rendre ainsi au monde rural c’est risquer une caricature déplacée, Bartok y usant d’un folklore imaginaire et déployant un orchestre aussi opulent que subtil. Il y faut y jouer tout autrement avec la mesure et ne pas craindre d’en exposer la sensualité d’une écriture décidément savante.

L’intérêt du concert était autre part : d’abord dans les Quatre instants que Kaija Saariaho avait revêtus d’une sulfureuse parure d’orchestre. Impossible de ne pas entendre ici la formidable machine symphonique qu’elle avait entre temps déployée pour son Emilie du Châtelet à l’Opéra de Lyon. Karita Mattila (qui avait créé l’œuvre dans sa version chant-piano, le 2 avril 2003 à Paris) lui donne grâce à l’apport décisif de l’orchestre un supplément d’âme et de sang ; elle empoigne un personnage, met du théâtre à la scène du concert : époustouflant, jusque dans l’excès qui est pour la soprano une liberté supplémentaire.

Et c’est encore un personnage qu’elle investit dans Luonnotar, mettant un visage derrière le récit, le portant loin dans la psyché, là encore avec un sens de l’incarnation physique qui vous bouleverse. Quelle artiste ! Comme la musique de Luonnotar trouve dans sa voix ses vraies couleurs, et sa parabole des résonances troubles.

Un rien raide chez Bartok, Jukka-Pekka Saraste s’était transformé en magicien pour Saariaho et presqu’en barde pour Luonnotar. On espérait qu’il allait devenir prophète en le voyant empoigner violoncelles et contrebasses dans l’exorde de la 4e Symphonie de Sibelius, mais non.

L’ouvrage est quasiment une langue en soi, on ne le parle pas comme l’on veut. Aussi attentifs au guide parfait qu’est ici Saraste, les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam ne possèdent pas cette grammaire et même, parfois, les mots leur manquent : ces tuilages absents, cette raideur qui empêche les mètres changeant du final de prendre naturellement leur place, la nature propre du son ; comment faire sans dans un univers aussi radical ? Et comment dès lors aller aussi loin que l’exige la coda de l’ouvrage, première musique abstraite jamais écrite ?

Pourtant on sortait du concert tout sauf déçu, et même heureux. C’est que le temps de Sibelius semble enfin venu au bord de la Seine ; aujourd’hui la 4e selon Saraste, demain à l’Orchestre de Paris la 5e sous la baguette tout aussi experte de Paavo Järvi, qui l’aurait cru voici seulement quelques années ?

Jean-Charles Hoffelé

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 13 avril 2011

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Photo : DR

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