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Joshua Bell et Karina Canellakis à l’Orchestre de Paris – Chostakovitch sans l’Histoire – Compte rendu

On était resté sur un concert décevant de Karina Canellakis (photo) en tout début de saison, avec en particulier un Concerto pour orchestre de Bartók sans caractère, tournant à vide. Le programme qu’elle dirige en cette fin janvier est, lui aussi, loin de convaincre.

En première partie, Joshua Bell rejoint la jeune artiste américaine pour le Concerto de Sibelius. Effets du jetlag ? On a connu le violoniste en plus belle forme mais, à sa décharge, l’accompagnement manque de vigueur et le soliste, jamais vraiment porté par le geste assez raide de Canellakis, donne l'impression de tirer l’orchestre et se fatigue inutilement (quelques problèmes d’intonation, dans l’Adagio en particulier, qui surprennent de la part d’un tel archet).
Les qualités et les défauts que l’on avait relevés chez la cheffe en septembre se manifestent à nouveau : on apprécie sa capacité à soigner le détail (on l’avait remarquée dans la 2ème Suite de Daphnis), à raffiner certaines textures. Les choses commencent plutôt bien avec l’Allegro moderato du Concerto op. 47, mais vite le propos s’enlise faute de souffle narratif, d’élan et de liberté rhapsodiques. La transparence, fort bien, mais l’âpreté, sinon la rugosité que requiert le final ne sont point là, hélas. D’ailleurs, au moment des saluts, Bell revient sur scène sans violon, comme pour signifier que ce Sibelius très moyen n’appelle aucun bis ...

10ème Symphonie de Chostakovitch : un redoutable défi attend Canellakis après la pause. Reconnaissons un résultat de facture plus satisfaisante que dans le Bartók de la rentrée passée ; Chostakovitch ne saurait cependant se satisfaire de cette seule dimension. Comme si souvent chez cet auteur, la Symphonie en mi mineur (1953) témoigne de la rencontre entre le créateur et l’Histoire. Quelques mois après la mort du tyran, le dégel s’avère douloureux pour le compositeur ... « Elle parle de Staline et des années de stalinisme », a-t-il dit de sa partition. Canellakis l’oublie ; ne parvient pas en tout cas à éveiller les fantômes qui hantent le premier mouvement, ni à trouver le mordant vitriolé du scherzo, qu’elle conduit pourtant avec une remarquable précision – la battue se fait plus souple qu’en première partie – bénéficiant des formidables qualités individuelles des instrumentistes de l’Orchestre de Paris. Mouvement crypté au plus haut point – DSCH d’une part, référence à Elmira Nazirova, ancienne élève de Chostakovitch, de l’autre – l’Allegretto manque d’arrière-plans, tout comme un finale qui avance mais ne raconte rien. Chostakovitch sans l’Histoire ...
L’Orchestre de Paris veut tester des « cheffes » ? Que l’on aimerait entendre la grande Marzena Diakun à sa tête ...

Alain Cochard

Paris, Philharmonie, Grande Salle, 22 janvier 2020 ; prochain concert le 23 janvier.

Photo © Mathias Bothor

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