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Jordi Savall à la Cité de la musique - Étrange Bestiaire Médiéval - Compte-rendu

La symbolique animalière a généreusement nourri l'imaginaire de la foi médiévale. «Le cerf vit mille ans, le sanglier porte ses cornes dans sa gueule. La belette conçoit par la bouche et enfante par l'oreille. Le taureau perd sa force si on l'attache à un figuier. L'autruche est une espèce de chameau qui peut manger n'importe quoi.... L'hyène change de sexe à volonté. Quant à l'hirondelle, elle mange, boit et dort en volant...».

Voilà, parmi d'autres, les étranges dictons colportés par les Bestiaires, ces «livres de bêtes» qui parlent du monde animal, non pas tant pour le décrire tel qu'il est, encore moins pour l'étudier de manière savante, que pour y décrypter des signes élémentaires de morale et de religion.

En tout cas, c'est à partir d'un projet de la très regrettée Montserrat Figueras sur le riche Codex du Monastère de las Huelgas, que Jordi Savall vient d'imaginer pour la Cité de la musique ce Bestiaire du Christ et ces Symboles de la Vierge tout ensemble orants et vrillants. Avec, en complément du Codex, des pages empruntées au Manuscrit de Thibaut de Champagne et au recueil fameux des Cantigas de Santa Maria d'Alphonse Le Sage, roi de Castille. Un répertoire qui tourne au parcours allégorique, mêlant aux emblèmes mariaux (l'aigle, l'agneau, le poisson, la colombe) d'autres créatures plus inquiétantes, telles les mouches, traditionnellement associées au seigneur des ténèbres, ou, au contraire, charismatiques comme le pélican, symbole de l'amour paternel et du sacrifice de Jésus, cependant que le dragon cracheur de feu fut d'abord un principe de vigilance et d'ardeur avant d'être occis par Saint-Georges.

En phase étroite avec les oeuvres, un public exceptionnellement attentif se pressait dans la salle des concerts, conscient d'être à l'écoute d'un événement, avant tout geste d'amour et de mémoire envers une chanteuse emblématique comme il en fut peu.
Aussi bien, trois ensembles étaient convoqués pour le concert, que fédérait avec son humanité coutumière un Savall visiblement marqué par l'émotion. Aux complices de toujours que sont pour le Catalan le concert vocal de la Capella Reial (mention spéciale au baryton Marc Mauillon) et les instrumentistes virtuoses d'Hespèrion XXI, s'ajoutaient les timbres charmeurs de Lux Feminae, voulu comme un hommage spécifique à la chère disparue et où le soprano de Maria Cristina Kiehr s'imposait comme un modèle mystique (autre vrai talent à suivre : la jeune italienne Chiara Maggi).

Et le savant métissage orientalisant réussi par l'instrumentarium (flûtes, duduk, ney, santur, luth, cornemuse, vielle à roue, canun, etc.,) joignait à la ferveur de l'instant un rare bonheur d'écoute. Preuve que l'effet Savall reste quasiment sans rival, qui tournait à la Cité à l'hymne lors de l'irrésistible Cantiga Ben pode Santa Maria, donnée en bis.

Roger Tellart

Paris, Cité de la musique, 11 avril 2012

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Photo : DR
 

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