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​Jodyline Gallavardin en récital à la Scala-Paris – Paradis perdus – Compte-rendu

Après avoir ouvert son catalogue avec une tonique promenade américaine (Gershwin, Bernstein, Markeas) par le Quatuor Face à Face, Scala Music, le label discographique de la Scala-Paris, livre une nouvelle référence : un remarquable enregistrement de la pianiste Jodyline Gallavardin (photo) intitulé « Lost Paradises ». La réussite d’un disque comme celle d’un concert tient beaucoup à la construction du programme, aux liens que les œuvres, si elles sont opportunément choisies, tissent naturellement entre elles ; le talent de l’interprète demeurant par la suite essentiel, il va de soi. Tous ces atouts sont réunis par Jodyline Gallavardin : on a d’abord été séduit par son disque, avant de céder en direct à la prégnance de son jeu et de son univers poétique. Des Three Irish Legends d’Henry Cowell au tourbillon fatal de La Valse ravélienne, la pianiste entreprend de « nous raconter une histoire » ... et sait nous tenir en haleine un peu plus d’une heure durant – une fois de plus, la pertinence du récital en une partie se vérifie ici.
 

 
Jodyline Gallavardin évite tout geste spectaculaire dans le traitement des fameux clusters des trois pièces de Cowell et les exploite pour cultiver une dimension très mystérieuse. La transition se fait tout naturellement avec les 5 Pièces op. 75 de Sibelius, chacune inspirée par un arbre (sorbier, pin, tremble, boulot, épicéa). Un recueil aussi méconnu qu’attachant, d’un maître d’abord connu pour son art de symphoniste, dont la pianiste sait caractériser les épisodes en puisant dans le riche nuancier de sa palette sonore.
Vrai moment de grâce, la Grive solitaire op. 92 d’Amy Beach, d’une poésie entêtante, assure la transition vers le Auf dem Wasser zu singen de Schubert transcrit par Liszt qu’un tempo retenu au départ donne l’impression d’entendre en rêve. A la Grive de Beach répond ensuite le rossignol de Quejas, o la Maja y el Ruiseñor, quatrième épisode des Goyescas. Souplesse de la ligne, plénitude du timbre : que l’on aimerait entendre l’artiste explorer dans sa totalité le chef-d’œuvre de Granados ! La même réflexion vient à l’esprit à propos des Muletiers devant le Christ de Llivia, pièce extraite de la suite Cerdaña de Déodat de Séverac, où l’art des plans sonores et la chaleur expressive de Jodyline Gallavardin émerveillent littéralement. La Valse de Ravel conclut, impeccablement maîtrisée, mais fuyant le tape-à-l’œil virtuose qui la compromet si souvent pour traduire d’insidieuse et prenante façon l’effondrement d’un monde.
 
Quant à la prochaine parution de Scala Music, à la rentrée, elle se situera dans un tout autre répertoire, avec des compositions de Tovel (alias Matteo Franceschini) pour électronique, piano et saxophone réunissant le compositeur, Bertrand Chamayou et Eudes Bernstein.
 
Alain Cochard

Paris, La Scala-Paris, 9 juin 2022

 
Photo © jodylinegallavardin.com

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