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Joaquin Achúcarro à l’Orchestre national de Lille – Un maître – Compte-rendu

Lille et Toulouse auraient-elles un sens musical plus affuté que d’autres métropoles françaises ? On finit par le croire : hormis dans ces deux villes (à l’Orchestre national pour l’une, au Festival Piano aux Jacobins pour l’autre), il n’est, sauf erreur, pas un seul autre lieu en France où l’on ait pu entendre Joaquin Achúcarro (photo) en concert ces dernières années. Aurait-on imaginé à la grande époque d’Alicia de Larrocha se passer de celle-ci chez nous ? Non ? En bien c’est très exactement ce qui se produit aujourd’hui s'agissant d'un des plus grands maîtres de notre temps, admiré et demandé dans le monde entier et que, hormis les exceptions précitées, la France snobe avec une scandaleuse et méthodique application. A commencer par Paris où pas une série, qu’elle soit de l’aube, du midi, de l’après-midi ou du soir, pas un orchestre n’a l’idée de convier celui qui fait figure en Espagne de « trésor national vivant ». In-vrai-sem-bla-ble. Ajoutons qu'Achúcarro est un fantastique pédagoque ; nos Conservatoires nationaux supérieurs devraient se disputer pour accueillir des masterclasses d'un tel artiste et faire profiter leurs élèves de son expérience musicale, de son humanisme. Ils l'ignorent.
 
Si encore les pianistes de cette génération (Achúcarro est né en 1932) en activité – et dans une aussi resplendissante santé ! -, les héritiers de José Cubiles, Guido Agosti, Nikita Magaloff et Walter Gieseking étaient légion … On se console en réécoutant des enregistrement récemment réédités : une Fantaisie et des Kreisleriana de Schumann (La Dolce Volta) à placer au sommet de la discographie, à même titre que les Goyescas de Granados (Sony) et les Noches de Manuel de Falla (Sony).
 

Dmitri Liss et Joaquine Achúcarro en répétition © Orchestre national de Lille
 
Hors de question donc de manquer la venue de Joaquin Achúcarro à l’Orchestre national de Lille, où il donne la Rhapsodie sur un thème de Paganini sous la conduite de Dmitri Liss. Dire que l'artiste est dans son jardin avec l’Opus 43 de Rachmaninov relève de l’euphémisme. Depuis un concert sous la baguette de son ami Zubin Mehta en 1956 à Sienne (trois ans donc avant le Premier Prix du Concours de Liverpool qui lança la carrière internationale du pianiste), Achúcarro n’a cessé de fréquenter une partition qu’il joue pour la… 138ème fois en public à Lille ! Pas une once de routine, d’habitude ; l’émerveillement et le désir de le transmettre au public sont là, intacts. Porté par l’accompagnement vivant et plein de relief de Liss, Achúrro saisit la logique interne du concerto que cèle ici la forme thème et variations. D’une richesse peu ordinaire, sa vaste palette de couleurs sert une virtuosité ailée comme un lyrisme aristocratique. Quel tact dans la XVIIIe variation, là où tant d’autres en font trop… Et quelle manière de soutenir la tension – et l’attention ! – jusqu’au trait plein d’humour qui clôt le dernier épisode de cette œuvre proprement géniale. Du très grand art, longuement acclamé par un auditoire qu’Achúcarro gratifie d’un de ses bis favoris : le Nocturne pour la main gauche de Scriabine. La poésie à l'état pur.
 
Commencée avec un preste ouverture des Noces de Figaro, supplément au programme joué en signe de solidarité des musiciens lillois avec le mouvement « International Orchestra Week, Stop Cultural Vandalism »(1), la soirée a ensuite vu la formation s’ébrouer dans le bigarré Capriccio espagnol de Rimski-Korsakov et dans Quinglong-Azure Dragon, pièce contrastée et visuelle d’Olga Viktorova ( l’épouse de Dmitri Liss). Des pages qui soulignent combien la phalange nordiste profite du rajeunissement intervenu à de nombreux pupitres depuis quelque temps – et de la belle acoustique du Nouveau Siècle rénové.
Au chapitre purement orchestral, c’est toutefois d’abord la Symphonie n° 9 de Dimitri Chostakovitch que l’on retient. Liss saisit remarquablement tout ce qui fait l’impertinence historique et l’ironie mordante d’un opus où il se meut avec une parfaite aisance et emporte l’adhésion de ses musiciens (remarquable intervention du basson solo !) comme du public.

Avis aux amateurs de piano, de belles soirées se profilent à Lille en début d’année prochaine, le 13 janvier avec Philippe Bianconi et Jean-Claude Casadesus, dans le 1er Concerto de Brahms, puis le 17 mars avec Bruno Leonardo Gelber, soliste du 3ème Concerto de Rachmaninov au côté de Zhong Xu.
 
Alain Cochard
 
Lille, Nouveau Siècle, 28 novembre 2014
 
 
(1)www.stop-cultural-vandalism.org
 
Site de l’Orchestre national de Lille : www.onlille.com

Photo © Orchestre national de Lille

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