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Joaquín Achúcarro en récital aux Invalides – Jeunesse et émerveillement – Compte-rendu
L’Espagne est en fête depuis quelques semaines au Musée de l’Armée. Parallèlement à l’exposition «Picasso et la guerre », Christine Helfrich (conservateur du département de musique au musée de l’armée), a effet imaginé – avec le soutien de l’Ambassade d’Espagne – un riche cycle de concerts intitulé « L’Heure espagnole », qui se prolonge jusqu’à la mi-juin.
Le piano et les interprètes espagnols y trouvent naturellement une place de choix. Le 4 avril, Luis Fernando Pérez qui inaugurait la série au côté de l’Orchestre de la Garde Républicaine conduit par Sébastien Billard. Contrasté, le programme comportait entre autres le rarissime Concierto fantástico (1890) d’Isaac Albéniz (dont on doit l’orchestration à J. Trayter, pseudonyme du compositeur de zarzuela Tomás Bretón, qui dirigea la création de l’œuvre à Londres en novembre 1890 avec Albéniz au clavier). L’écriture pianistique y est certes encore éloignée des géniales conquêtes de La Vega et d’Iberia, mais montre une générosité, un brio, un lyrisme que Pérez a su faire siens avec l’élan et l’imagination sonore qu’on lui connaît. Un vrai régal, que prolongeait, en solo, la Danse rituelle du feu de Falla, ardente à souhait.
Après l’un des plus brillants représentants de la nouvelle génération du piano hispanique, on a retrouvé un peu plus d’un mois plus tard le grand aîné : Joaquín Achúuarro (photo). 86 printemps ? Sur le passeport peut-être, mais quelle jeunesse et quelle santé pianistique manifeste-t-il ! Le nageur émérite qu’est par ailleurs l’artiste l’expliquerait peut-être par les longueurs qu’il ne manque jamais de faire quand, piscine ou mer, l’occasion se présente. Mais son secret tient surtout à l’émerveillement face à la musique qu’il garde intact et qui fait le prix de chacune de ses apparitions.
© Souse
Préludes nos 10, 1, 9 et 7 : entrée en matière toute de pudeur et de poésie avec l’univers si économe de moyens de Federico Mompou. L’interprète – qui, fidèle à son habitude, prend le micro pour commenter les différents chapitres de son récital – nous embarque ensuite dans trois extraits d’une de ses partitions favorites, les Goyescas d’Enrique Granados (dont il a signé une inoubliable version en 1980, disponible chez Sony Classical).
Quejas, o la maja y el ruisenõr, El Amor y la muerte, Serenata del espectro : après Mompou, l’écriture se fait surabondante avec des pages dont Achúcarro livre une vision quintessenciée, attentive au détail mais d’abord concentrée sur l’essentiel, le chant. L’émotion saisit le public, en particulier dans la Ballade que l’interprète vit avec une humanité bouleversante – et une palette de couleurs riche et infiniment nuancée.
Avec la Fantasia Baetica de Manuel de Falla, le propos se fait autrement plus âpre pour servir une pièce qui plonge aux tréfonds de l’âme andalouse. Mordant des attaques, raucité du chant : tout est dit avec un feu et un aplomb magnifiques !
Gaspard de la Nuit compte parmi les partitions fétiches du pianiste et l’on ne s’étonne pas qu’il ait choisi ce Ravel pour conclure son récital parisien. Souvent dévoyé par les excès virtuoses, l’ouvrage se révèle dans sa plénitude sous des doigts dont l’art du timbre et le pouvoir suggestif happent l’auditeur. L’expérience d’une vie coule dans cette interprétation dédaigneuse de l’effet et d’une intensité poétique peu ordinaire.
Le public nombreux la cathédrale Saint-Louis (où l'on relève la présence de Fernando Carderera, Ambassadeur d'Espagne en France) ne s’y trompe pas et réserve une chaleureuse ovation au pianiste. Trois bis : Grieg (Nocturne) Scriabine (Nocturne pour la main gauche) et Chopin (Préludes op. 28 n° 16).
Joáquin Achúcarro ne cesse de parcourir le monde ; à la rentrée, il retrouvera le Tokyo Metropolitan Symphony Orchestra et son directeur musical Kazushi Ono dans le Concerto n° 2 de Rachmaninov. On aimerait que les orchestres parisiens et plus largement français (l’Orchestre national de Lille constituant une heureuse exception) réparent enfin leur scandaleuse indifférence envers cet immense musicien. Sachons en tout cas gré au Musée de l’Armée de l’avoir inclus dans son « Heure espagnole ».
Alain Cochard
Paris, Cathédrale Saint-Louis des Invalides, 16 mai 2019 // « L’Heure espagnole », jusqu’au 17 juin 2019 saisonmusicale.musee-armee.fr/cycles2018-2019.html
Photo © Orchestre national de Lille
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