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Jesus Lopez Cobos, Adam Laloum et le Philharmonique de Strasbourg - La Fantaisie de Debussy retrouvée - Compte-rendu

Cela fait des lustres que Jesus Lopez Cobos (ci-dessus) n’avait pas dirigé l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Plus que concluantes, les retrouvailles du maestro espagnol et de la phalange alsacienne se sont produites dans un programme pour partie très original. La musique française domine, mais la soirée commence toutefois par une petite visite au Mexique avec Sensemaya de Silvestre Revueltas (1899-1940). Ecrite deux ans avant la disparition prématurée du compositeur, la pièce manifeste une invention rythmique dont Lopez Cobos maîtrise impeccablement le foisonnement pour mieux conduire une saisissante progression musicale.

Si l’ouvrage de Revueltas n’est que très rarement donné chez nous, la vraie curiosité de la soirée demeure toutefois la Fantaisie pour piano et orchestre de Debussy, avec Adam Laloum au clavier. Réalisation de jeunesse (1889-1890) du musicien, contemporaine de Printemps et de La Damoiselle élue, la Fantaisie aurait dû être donnée en première audition en avril 1890 à la Société Nationale de Musique, avec René Chansarel au piano, sous la baguette de Vincent d’Indy. Tout était fin prêt quand ce dernier décida de ne retenir finalement que le premier des trois mouvements. Vexé, Debussy retira son ouvrage et la Fantaisie partit dormir au fond d’un tiroir pour ne se réveiller qu’après la mort de l’auteur. En 1919, Alfred Cortot et Marguerite Long la créèrent concomitamment, l’un à Londres et l’autre à Lyon.

La perspective du 150ème anniversaire de la naissance de Claude de France l’an prochain serait-elle en train de donner une nouvelle jeunesse à son unique ouvrage concertant avec piano ? Un an après un enregistrement de Jean-Efflam Bavouzet, Adam Laloum se prend à son tour au jeu d’une œuvre pourtant pas la plus gratifiante qui soit pour le soliste. La profonde imbrication de la (souvent difficultueuse) partie de piano et de l’orchestre relève en effet plutôt de l’esprit de la symphonie concertante (il est à noter que Debussy entame sa Fantaisie deux ans après la création de la Cévenole d’Indy…).

Au clavier comme à la baguette la nature profonde de l’ouvrage est pleinement assumée. Le sens des timbres, la fluidité, l’engagement sans esbroufe de Laloum (photo ci-contre), la vitalité et le sens du détail de Lopez Cobos, à la tête d’un Philharmonique en belle forme, s’allient dans une parfaite osmose ! Nul ne tire la couverture à soi, pour mieux souligner les prémices dont cette partition imparfaite certes mais sacrément attachante est porteuse, quatre ans avant la création du Prélude à l’après-midi d’un faune.

« Tube » du répertoire de la fin du XIXe siècle, la Symphonie en ré mineur de César Franck a parfois souffert d’excès d’opacité et de lourdeur. Dès l’attaque du Lento initial on comprend qu’elle ne courra jamais ce risque au cours d’une exécution exempte de pathos. Jesus Lopez Cobos mise sur la netteté et la fermeté des lignes, sans pour autant perdre de vue l’image sonore de l’orgue qui marque tant l’auteur des Djinns dans cette partition. Une approche à la fois aérée et vigoureuse qui éclaire avec une acuité peu ordinaire l’architecture de l’ouvrage et cultive avec finesse les couleurs de l’Allegretto médian.

Alain Cochard

Strasbourg, Palais de la Musique et des Congrès, 16 décembre 2011

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Photo : DR
 

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