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Jean-Baptiste Robin à l'orgue de la chapelle royale de Versailles – Elégance et noblesse du Grand Siècle – Compte-rendu

On espérait une assistance fournie pour ce concert dont dépendrait la suite des récitals d'orgue au château de Versailles. L'espoir ne fut pas déçu, quand bien même les mécènes de ce concert, de fait « exceptionnel », comptaient de très nombreux invités. Affluence des grands soirs en ce glacial 3 décembre, avec ce luxe inouï, en harmonie avec un lieu aussi privilégié mais généralement inconnu des amateurs d'orgues, d'une chapelle royale délicatement chauffée – sans doute en permanence, contrairement aux églises vaguement, ponctuellement et brusquement réchauffées, au détriment de l'accord des orgues. Rien de tel pour le Boisseau-Cattiaux de la chapelle, d'une appréciable constance jusqu'au tout dernier accord sur le grand chœur d'anches, arborant une fermeté et une stabilité en elles-mêmes impressionnantes et réjouissantes.

Faste versaillais oblige, Jean-Baptiste Robin s'était entouré de David Guerrier à la trompette et de Laurent Sauron aux percussions, spectacle sonore à part entière entré dans le vif du sujet dès la première œuvre : Marche des Turcs et ses doubles, éclatante transposition d'après Lully de Jean-Baptiste Robin, avec de guerrières et sonores timbales pour la Marche proprement dite, la virtuosité haute en couleur des doubles permettant à loisir d'entendre seuls les mélanges emblématiques de l'orgue classique français. Au fil du programme, l'auditeur bénéficia d'un survol complet des sonorités dont dépend la restitution de ce répertoire, à Lully faisant suite son aîné d'un an, Nicolas Lebègue : Duo sur les tierces, Fugue sur le cromorne, Écho sur les cornets, Les Cloches sur le chœur d'anches. Toute l'élégance sophistiquée et la noblesse du Grand Siècle.
 

L'orgue Boisseau-Cattiaux de la Chapelle royale © Mirou

Par définition idéale pour son répertoire de destination, la palette d'un orgue français permet aussi d'aborder d'autres esthétiques, pour preuve les deux œuvres suivantes, sans quitter de prime abord le XVIIe siècle : Sonata Prima du Toscan Giovanni Buonaventura Viviani, des Capricci armonici da chiesa e da camera a violino solo et sonate per tromba sola, Opera quarta (Venise, 1678). À l'infaillible David Guerrier, d'une assurance et d'une musicalité jamais prises en défaut, jouant un instrument moderne l'obligeant en permanence à s'adapter – manifestement sans l'ombre d'une difficulté ! – et à transposer afin de pouvoir dialoguer avec l'orgue accordé selon un diapason ancien (la : 415 Hz), répondaient aux claviers des mélanges de fonds solidement lumineux, hors contexte classique français et d'une souveraine efficacité.
De même avec l'œuvre de Robin lui-même, premier de ses Trois Solos (2011, commande de l'Association François-Henri Clicquot) : « Conçus initialement pour un orgue de type classique français accordé au tempérament mésotonique, leur exécution sur d'autres types d'instruments s'envisage parfaitement (orgue baroque allemand, orgue symphonique...). Il est par ailleurs préférable que le lieu d'exécution offre une belle réverbération. » (1) – autant de conditions ici réunies, permettant d'apprécier une œuvre contemporaine certes composée en fonction d'un tempérament ancien, mais qui ouvre bien des perspectives à la musique du temps présent.

Des pages d'apparat de Louis Marchand s'ensuivirent (Livre I, 1er ton) : Plein jeu (« prélude le plus somptueux de toute l'École française : un sextuor ! », Brigitte François-Sappey), Tierce en taille d'une sublime élévation telle que restituée par Jean-Baptiste Robin, célébrissime et virevoltante Basse de trompette [et dessus de cornet], enfin des pages du Te Deum du Livre II. Michel-Richard de Lalande permit ensuite à l'assistance de rejoindre virtuellement les jardins : Concert de Trompettes pour les Fêtes sur le canal de Versailles, la seule trompette de David Guerrier, avec percussions et le soutien coloré de l'orgue, suffisant à concrétiser cette royale évocation.
Le Magnificat du deuxième ton de Dandrieu (dont les pièces étaient différemment agencées) fit ensuite référence au disque récemment paru (2), suivi de deux Noëls contrastés : Bon Joseph écoutez-moi du même Dandrieu, tambourin pour orgue ici rehaussé de toutes sortes de percussions délicates et joyeuses, puis le Noël X – Grand Jeu & Duo de Louis-Claude Daquin, sur un timbre très connu (« Quand Dieu naquit en Judée »)… et un tempo de feu, avec timbales et trompette ! Juste triomphe assuré, conforté par deux bis : les Sauvages de Rameau et un Offertoire du jeune Dandrieu (évocation du second CD en préparation), ébouriffant de grandeur.

Pour être bien au chaud même quand il s'agit d'orgue, on serait (presque) prêt à faire le vœu de n'aller plus en hiver qu'aux récitals donnés en la chapelle royale de Versailles. Mais l'occasion en sera-t-elle donnée ?

Michel Roubinet

Versailles, chapelle royale du château, 3 décembre 2019
www.chateauversailles-spectacles.fr/programmation/jean-baptiste-robin-recital-d-orgue_e2207
jbrobin.com/?q=versailles-sous-menu&id=3

(1) jbrobin.com/?q=catalogue-en-savoir-plus&id=10&langue=FR
 

(2) www.concertclassic.com/article/le-disque-de-la-semaine-jean-baptiste-robin-joue-dandrieu-sur-lorgue-de-la-chapelle-royale

Photo © Mirou

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