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Jacques Lenot par le Quatuor Tana - Fragments d’intensité - Compte-rendu

Déjà riche de sept opus composés entre 1998 et 2013 – faisant suite aux Sette frammenti de 1976 – l’œuvre pour quatuor à cordes de Jacques Lenot (photo) s’enrichit ce soir de ces cinq Frammenti intimissimi, composés spécialement pour le Quatuor Tana : une heure de musique nouvelle défendue par des interprètes désormais tout imprégnés de la pensée musicale du compositeur : après avoir passé quinze jours ensemble à travailler sur l’intégrale des sept quatuors, enregistrée pour le label Intrada (2014), le compositeur a écrit pour ses interprètes et le trompettiste Raphaël Duchâteau le long mouvement continu de Et il regardait le vent, enregistré dans la foulée (L’Oiseau prophète, 2015). Dédicataires du Quatuor n° 7 (2013), créateurs en 2014 du Quatuor n° 6 qui attendait sa révélation publique depuis six ans, les Tana expriment l’univers de Jacques Lenot à la perfection, le suivant dans ce mélange d’exactitude et d’inattendu qui habite toute son œuvre.

Avec sept quatuors au catalogue, quelque compositeur pourrait agir en maître du genre. Pas Jacques Lenot qui, avec ces cinq « Fragments très intimes » poursuit l’exploration : chacune des pièces est moins affirmation d’un savoir-faire que quête de la création et de ses incertitudes. L’impression de continuité, allant de pair avec une caractérisation assez forte de chaque nouveau fragment, se laisse régulièrement surprendre par les transformations qu’y opère le compositeur. Et si l’ombre de Bartók assez souvent et celle plus furtive de Chostakovitch apparaissent, elles laissent place peu à peu à une invention à perte de vue.

Le Quatuor Tana © DR

La première pièce s’installe ainsi par des rythmes de danse (voici Bartók !) qui en se ralentissant plongent vers le grave. Dans le second, les violons et l’alto tissent un arrière-plan sur lequel vient s’élever l’élégie du violoncelle, d’abord dans un registre grave puis vers le suraigu, apogée lyrique de l’œuvre porté avec brio par Jeanne Maisonhaute. Le troisième fragment débute dans un climat misterioso animé par le violoniste Ivan Lebrun, se poursuit dans un dédale complexe de pizzicatos et s’achève dans la lumière de tutti retrouvés, comme une succession de levers du jour. Confiée à l’altiste Maxime Desert, la partie soliste du quatrième fragment et la plus aride : tendue, retenue, ne parvenant pas à se livrer. Mais de cette musique plus ardue, presque ingrate, émerge la plénitude du quatuor, sublime renversement encore. Enfin, dans le dernier de ces Frammenti intimissimi, le premier violon Antoine Maisonhaute emmène ses partenaires comme un orchestre de chambre.
Loin d’être des mondes clos, ces exigeants Frammenti ouvrent au contraire des horizons infinis. On pourra bientôt les explorer de nouveau grâce à l’enregistrement, déjà réalisé, qui sortira à l’automne prochain sur le label L’Oiseau prophète.
 
Jean-Guillaume Lebrun

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Lille, Hermitage gantois (dans le cadre du festival Clef de soleil), 12 décembre 2016. 
 
Site internet de Jacques Lenot : http://jacqueslenot.net
Rencontre avec Jacques Lenot (2012) : http://www.concertclassic.com/article/rencontre-avec-jacques-lenot-artisan-du-poudroiement-sonore

Photo Jacques Lenot © Florian Chavanon
 

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