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Jaap van Zweden dirige l’Orchestre de Paris – Fête orchestrale

Philip Glass et Dimitri Chostakovitch, minimalisme américain contre maximalisme russe : programme au contraste abrupt à l’affiche de l’Orchestre de Paris. Pour sa troisième venue à la tête de la formation parisienne, le chef néerlandais Jaap van Zweden a transformé cette confrontation de styles antagonistes en une vaste fête orchestrale, mettant en valeur toutes les ressources de couleur et de virtuosité des musiciens. 
  
Commanditaire de l’œuvre avec quatre autres institutions (dont le Los Angeles Philharmonic, qui a créé la partition en 2015), l’Orchestre de Paris assurait la première européenne du Double concerto pour deux pianos de Philip Glass. Rien d’inédit ni de spectaculaire dans cette musique très sage en trois mouvements (le lent en position finale), d’une demi-heure à peine, ne requérant qu’un modeste effectif orchestral. A presque quatre-vingt ans, Phil Glass (né en 1937) reste fidèle à sa griffe : une formule rythmique simple, sinon simpliste, répétée, martelée à satiété. Il y ajoute aujourd’hui une instrumentation plus relevée, plus réactive. D’où, sans doute, le titre Double concerto : à la fois concerto pour piano, et concerto pour orchestre —  évoquant, par les échanges entre pupitres, le concerto grosso baroque. Mais que ne donnerait-on pas pour entendre une amorce de contrepoint, une esquisse de développement polyphonique ! Mascottes quasi institutionnelles du répertoire contemporain à deux pianos, Katia et Marielle Labèque s’investissent avec une énergie farouche qui secoue heureusement la monotonie lancinante de leur partie. Et leur valent un indéniable succès, dans les rangs du public.
 
Après l’entracte, changement radical de panorama. Le plateau de la Philharmonie, pourtant de belle contenance, est saturé de pupitres. Au dernier étage, les percussions — timbales, tambour, grosse caisse, tamtam, cloches tubulaires, xylophone — se serrent au coude à coude pour accueillir un piano, un célesta, et deux harpes que les pupitres de violons, divisés en trois groupes, ont obligé à refluer vers les hauteurs. Chostakovitch déploie les grands moyens pour cette 5ème Symphonie sous-titrée « réponse d’un artiste soviétique à une juste critique ». Après l’article de la Pravda du 28 janvier 1936, dicté du Kremlin et condamnant le « chaos musical » de son opéra Lady Macbeth de Msensk, le compositeur a senti passer le vent du boulet — l’URSS est entrée dans l’ère du goulag et des purges staliniennes. Chostakovitch s’empresse de retirer de son catalogue son ambitieuse Quatrième symphonie (qui ne sera créée que vingt cinq ans plus tard, en 1961, sous l’embellie libérale de l’ère Khrouchtchev), et bâtit cette Cinquième, d’un optimisme claironnant propre à rassurer les longues oreilles djanoviennes du Politburo. Toutefois, le 3ème mouvement — un sombre Largo en fa dièse mineur, l’un des plus beaux mouvements lents de Chostakovitch — laisse percer angoisse et amertume, en âpres plaintes que les bois solos (flûte, hautbois, clarinette) exhalent à nu, dans des registres aigus périlleux. A grand renfort de consonances ronflantes, l’Allegro final revient à une jovialité factice qui célèbre les lendemains prolétariens qui chantent.

Jaap van Zweden négocie cette surenchère de fortissimos avec ce qu’il convient de distance, et de malice parodique. A cinquante-cinq ans, l’ancien premier violon solo du Concertgebouw d’Amsterdam est l’un des chefs les plus recherchés d’aujourd’hui, sa récente nomination à la tête de l’Orchestre philharmonique de New-York (qui prendra effet en 2018) en témoigne. Son autorité, la sobriété expressive de sa battue évoquent son compatriote Bernard Haitink. Comme le public de la Philharmonie, l’Orchestre de Paris lui a réservé des applaudissements chaleureux qui ne trompent pas.
 
Gilles Macassar

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Paris, Philharmonie 1, 10 mars 2016
 
Photo Jap van Zweden © Hans van der Woerd

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