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​Innocence de Kaija Saariaho en création mondiale au Festival d’Aix-en-Provence – Quel choc ! – Compte-rendu

 

 

 Clap de fin pour la comédie au Festival d’Aix-en-Provence. Avec Innocence de la Finlandaise Kaija Saariaho, donné en création mondiale le 3 juillet au Grand Théâtre de Provence, c’est la tragédie qui prévaut. Une heure quarante sous le choc face à un fait divers horrible, hélas devenu plusieurs fois réalité ces dernières années.

 Dix morts dans un massacre commis par un lycéen au sein son établissement scolaire en Finlande. L’horreur absolue… Un fait divers qui ressurgit quelques années plus tard alors que Tuomas, se marie en tout petit comité ; il est le frère du meurtrier qui vient d’être libéré après avoir purgé sa peine. Tereza, recrutée en extra par le restaurant où se déroule la noce, n’est autre que la mère de Markéta, une adolescente tuée au lycée. La serveuse va tout faire pour que Stela, la jeune épouse, apprenne la vérité sur la famille qu’elle s’apprête à rejoindre. Les cinq actes du livret de Sofi Oksanen se déroulent sur une journée et font intervenir des personnages dont certains ont survécu et d’autres succombé.
 

© Jean-Louis Fernandez

 Rien n’est occulté au long de cette heure quarante ; l’horreur de la tuerie, la détresse des survivants, la vie brisée de Tereza qui, dix ans après, achète toujours les pommes préférées de sa fille pour les mettre une après l’autre, chaque jour, à la poubelle, jusqu’aux vérités qui n’ont jamais été dites : la lycéenne française qui était l’amie du meurtrier était victime d’attouchements de son beau-père (mort dans la tuerie) qui enseignait dans l’établissement, le meurtrier, lui, avait été harcelé et humilié par ses camarades, Tuomas, le jeune frère, était complice …
 
Kaija Saariaho a construit pour ce livret si particulier une architecture musicale impressionnante dont l’une des caractéristiques, et pas la moindre, est de capter, voire capturer, l’attention du spectateur dès les premières notes pour la libérer au final. Il est évident que cette partition est construite sur une base sombre et violente, laissant de temps en temps la place à des flashes plus colorés mais toujours denses.
Pour servir la composition, l’excellence des pupitres du London Symphony Orchestra est sollicitée avec succès par Susanna Mälkki toujours en phase avec l’action et qui apporte énormément à la charge émotionnelle.
 

© Jean-Louis Fernandez
 
Conspué la veille pour sa vision de Tristan et Isolde, Simon Stone signe ici une mise en scène remarquable, accompagné par la scénographe Chloé Lamford. Sur la scène, un cube tourne sur un axe dévoilant des cases qui sont autant de pièces où se développe l’action. Progressivement on passe du restaurant de la noce aux locaux du lycée où se déroule le drame. Les déplacements des acteurs sont réglés à la perfection et l’émotion est souvent portée à son paroxysme. Stone dit avoir voulu traiter Innocence comme un mythe antique ; c’est réussi !
 
Et pour donner toute sa dimension à cette création où les fantômes côtoient les vivants, où une famille revit les affres de la tuerie par fils interposés, où une mère, déchirante de désespoir, va peut-être faire le deuil de sa fille, on découvre une distribution où les artistes chevronnés côtoient les jeunes en devenir.
Magdalena Kožená incarne Tereza avec un engagement qui tire les larmes ; elle est à la hauteur de cet immense rôle. En mère aimante cherchant encore à comprendre le geste meurtrier de son fils, Sandrine Piau excelle aux côtés du père, Thomas Pursio. Le couple de jeunes mariés formé par Lilian Farahani et Markus Nykänen  fonctionne parfaitement et l’enseignante rescapée incarnée par Lucy Shelton déborde d’émotion. Belle performance, aussi, pour les artistes qui incarnent les lycéens, distribution internationale puisque neuf langues sont présentes au livret, avec une mention toute particulière pour Vilma Jää, émouvante Markéta.
Pour terminer, il convient de souligner la performance en coulisse du chœur de chambre d’Estonie ainsi que celle des figurantes et figurants complétant idéalement, scéniquement, la distribution. Impossible de rester insensible à cette création qui fut accueillie avec grande passion par une salle debout. Une œuvre entrée dès sa première dans le livre d’or du Festival d’Aix-en-Provence aux côtés de Written on skin de George Benjamin créé au même endroit il y a neuf ans…
 
Michel Egéa
Kaija Saariaho : Innocence. Création mondiale le 3 juillet au Grand Théâtre de Provence dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence ; prochaines représentations les 6, 10 et 12 juillet (à 20 heures). Retransmis en direct le 10 juillet sur Arte concert et en différé le 11 juillet à 20 heures sur France Musique / festival-aix.com
 
Photo © Jean-Louis Fernandez
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