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Il Trionfo del Tempo e del Disinganno de Haendel à l’Opéra national de Montpellier – Le Triomphe du temps et de la normalité – Compte-rendu
Ted Huffman ne pratique pas la rude polysémie de Warlikowsky, lequel adapta l’œuvre pour Aix et Lille. Une neutralité élégante règne sur le plateau noir où circule incessamment un lampadaire et un immense canapé anthracite comme une célèbre ligne de meubles suédois en pourvoit des millions, de Paris à Shanghai. La Beauté se morfond. Très vite, son, puis ses doubles, visages sans visage semblables aux inquiétants mannequins de De Chirico, lui font face. En tout huit danseurs et figurantes, élégamment vêtues de pantalons gris, de jupes crayon, de cols roulés bleus et de chaussures rouges vont pratiquer un ballet en slow motion. Ce travail chorégraphique de Jannik Elkaer s’avère tout à fait raccord avec la musique. Au fur et à mesure que le Temps et la Désillusion imposent leurs épreuves à la Beauté afin de l’arracher aux griffes du Plaisir, des références fugitives (la Pietà, les processions égyptiennes) apparaissent puis se dissolvent sous les beaux éclairages d’Andrew Lieberman.
Puisque l’on suit en direct le déroulé du livret, on ne constate guère de contre-sens ou d’élucubration. Cette lecture moderne ne dénature pas. Elle ne fait qu’arracher à l’allégorie baroque ses oripeaux pour la ramener dans l’ici et maintenant du quotidien. In fine, la Beauté, à bout de tentations et d’errances, redevient femme au foyer, son époux (le Temps) à ses côtés, ses deux enfants autour d’elle. La norme a repris le dessus, dans une symétrie signifiante dont on a parfois craint, durant les deux heures du spectacle, que Ted Hufmann ne parvienne à la trouver.
Si cette proposition, neutre mais élégante, tient, c’est aussi grâce au splendide investissement des quatre interprètes vocaux. Le Temps de James Way offre un vaillant ténor, mais de timbre un peu nasal, parfois hésitant sur son bas medium. Le Plaisir de la catalane Carol Garcia propose un mezzo chatoyant, habile à la vocalise. Belle révélation que l’alto de Sonja Runje. Ce timbre, né en Croatie, est de nature trop rare pour n’en pas goûter la singularité. La Beauté de Dilyara Idrisova est la révélation du spectacle. On ne sait qu’aimer, l’aisance et la pureté des aigus, le timbre charnel, lumineux, l’émotivité grandissante une fois passé le trac des premières minutes, ou bien l’endurance scénique, la Beauté chantant le tiers des arias. II faut louer le travail des danseuses et danseurs, véritables athlètes d’un ralenti dont les prouesses ne cessent de fasciner durant des arias où Haendel plante les graines de ses œuvres à venir, concerti pour orgue, opéras (le célèbre Lascia ch’io piango, ici Lascia la spina) et autres ritournelles. Le laboratoire du Cher Saxon est ici en construction, avec une science de la mélodie et une maturité du discours qui stupéfient chez un maître de vingt-deux ans.
En fosse, remplaçant Orfeo 55 et Nathalie Stutzmann, les jeunes Accents de Thibault Noally font merveille. L’équilibre acoustique a été savamment travaillé. Une contrebasse côté cour, une autre côté jardin, avec basson et continuo d’une part et flûtes et hautbois à l’opposé, le nucleus des cordes au centre. Noally dirige du violon, réincarnant le jeu virtuossisime de Corelli, créateur de l’œuvre en 1707. Il dialogue avec son premier violon Claire Sottovia, tout aussi habile. Ainsi architecturé, le son s’avère riche, dense, coloré. Le chef sait respirer, s’exciter, susurrer, s’emporter, livrant un Haendel jamais corseté, ni débraillé. Toutes qualités que l’on avait déjà apprécié lors du baptême du feu des Accents, à Beaune, en 2016, dans Tamerlano overro il Bajazet de Vivaldi. Quant à Ted Huffman, on attend avec intérêt son Couronnement de Poppée programmé cet été à Aix en Provence.
Vincent Borel
Photo © Marc Ginot
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