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Il ritorno d’Ulisse in patria de Claudio Monteverdi au Festival d’Aix-en-Provence 2024 – Ithaque pas toc – Compte-rendu
Dernier rendez-vous d’importance du Festival d’Aix-en-Provence 2024, ce Retour d’Ulysse était très attendu car confié à Pierre Audi et Leonardo García Alarcón. La nouvelle production de l'ouvrage de Monteverdi a tenu toutes ses promesses, idéalement servie par le talent de chacun des artistes-artisans réunis pour la circonstance.
Psychologie : mot-clé pour une mise en scène. Au cœur du propos présenté dans le programme du spectacle, Pierre Audi n’a de cesse de défendre une vision psychologique du drame qui permet de donner du sens à une œuvre qui pourrait n’être qu’une longue narration musicale et de la chair à chacun de ses personnages, du plus mortel au plus divin. Surtout n’attendez pas ici des colonnes de marbre, des trirèmes ou des trières au port et sur les flots, du ciel bleu et des plages de sable fin : exit le toc. Pierre Audi et son équipe ont choisi la simplicité dans le bon goût, avec un extraordinaire travail sur les lumières signé Urs Schönebaum qui imprime une dimension onirique au spectacle. De la sobriété et de l’élégance, aussi, pour les costumes de Wojciech Dziedzic, pastel bleu pour les dieux, une robe de velours moiré aux couleurs dorées d’automne pour Pénélope renforçant la prestance et la beauté du personnage.
© Ruth Walz
Par un jeu d’acteur soigné, par des déplacements intelligents, avec l’apport des lumières évoquées plus haut, Pierre Audi réussit à donner à donner vie et caractère aux protagonistes au premier rang desquels Penelope. Epouse dévorée par l’attente, elle joue avec ses prétendants pour demeurer chaste au long du temps qui passe. Trop de temps ? Peut-être… « Tu es le seul à avoir oublié la date de ton retour » se lamente-t-elle ; mais lorsque celui qui a renoncé à devenir immortel pour la retrouver revient à Ithaque; elle s’en détourne presque… Le temps est-il définitivement passé ? Quoiqu’il en soit le tableau final composé par le couple est d’une somptueuse beauté, chargé d’émotion… Et ce n’est pas le seul, le metteur en scène nous gratifiant de moments scéniques intéressants, notamment les interventions de Minerve, accompagnées comme toutes les prestations divines, par la blancheur d’un néon descendu des cintres, lien entre le monde des dieux et celui des mortels, ou encore celui du repas du berger Eumée perturbé par Iro, personnage par qui le comique arrive dans la tragédie, chargé d’apporter une autre forme d’humanité malsaine et réaliste à la pièce.
© Ruth Walz
Pour donner tout son sens à sa démarche, Pierre Audi bénéficie d’un cast exceptionnel, qu’il s’agisse des qualités vocales ou de l’investissement scénique. En fait, si l’œuvre ne comporte pas d’airs lyriques, elle nécessite une musicalité sans failles des voix pour une parfaite expression des sentiments. D’entrée de jeu, Deepa Johnny impose sa Pénélope avec une déploration qui bouleverse ; la mezzo-soprano canadienne embrasse pour la première fois le rôle et convainc totalement. John Brancy campe pour sa part un Ulysse idéal, avec la « gueule » de l’emploi, tout en muscles et en présence vocale.
© Ruth Walz
Mariana Flores offre une Minerve assurée sur toute la tessiture du rôle ; scéniquement, son interprétation de la déesse guerrière est totalement crédible. Très appréciés, aussi, Alex Rosen, alterne un Neptune et un Antinoos tout en puissance et Marcel Beekman apporte une pointe de folie à Iro. Giuseppina Bridelli (Mélanthe), Anthony León (Télémaque), Paul-Antoine Bénos-Djian (Amphimonos), Petr Nekoranec (Pisandre), Mark Milhofer (Eumée) et Joël Williams (Eurymaque) sont souvent sollicités, et avec bonheur, complétant une distribution dont on soulignera l’homogénéité et la complémentarité comme nous les avons rarement connues dans une production – aucun maillon faible.
Leonardo García Alarcón © Vincent Ardelet
Il eût été possible d’ouvrir ce compte-rendu par ce qui va suivre. D’aucuns diront que le meilleur qui a été conservé pour la fin ; ils ont un peu raison. La musique de Monteverdi est l’alpha et l’oméga de l’ouvrage ; comme l’explique Leonardo García Alarcón le compositeur y effectue « une synthèse unique entre tradition et modernité ». Comme à son habitude le chef argentin s’empare à bras le corps du matériel à sa disposition pour offrir une sorte work in progress au cours duquel, de l’intelligence de ses attentions, de ses interventions, de ses inflexions, naît la densité de l’interprétation. Ce qui est fascinant, c’est qu’à la tête de Cappella Mediterranea Alarcón propose comme la bande son en dolby stéréo d’un film à grand spectacle, jouant avec les couleurs et la puissance pour mettre en valeur l’action.
Avec Il ritorno d’Ulisse in patria, le maître pose de façon éblouissante le point final d’un cycle « Cavalli-Monteverdi » entamé il y a onze ans au Festival d’Aix-en-Provence avec la re-création d’Elena de Cavalli. Ça valait bien un triomphe, ce qui fut le cas tant à l’issue de la première partie qu’au terme de la représentation ! En espérant désormais que la collaboration de Leonardo García Alarcón avec le Festival aixois ne trouve pas, elle, son point final en ce mois de juillet 2024 avec ce remarquable retour d’Ulysse à Ithaque.
Michel Egéa
Monteverdi : Il Ritorno d’Ulisse in patria – 17 juillet, Aix-en-Provence, Théâtre du Jeu de Paume ; prochaines représentations les 19, 20, 21 et 23 juillet 2024 // www.festival-aix.com/programmation/opera/il-ritorno-dulisse-patria
© Ruth Walz
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