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Hommage à Marie Jaëll aux Bouffes du Nord (La Cité des Compositrices/La Boîte à Pépites) – Du feu sous un grand ciel – Compte rendu

Peu à peu, les choses avancent et le nom de Marie Jaëll (1846-1925) se fait plus présent dans les programmes. Un mouvement auquel diverses publications discographiques contribuent depuis quelques années. Le Palazzetto Bru Zane a ouvert la voie il y a une décennie avec un beau livre-disque (3CD) dans sa collection « Portraits », qui rassemble pages symphoniques et pièces pour piano solo et à quatre mains de l'artiste alsacienne. Fin 2022, Célia Oneto Bensaid a livré un enregistrement de premier ordre (Présences Compositrices) de Ce que l’on entend, prophétique cycle inspiré de la Divine Comédie, et plus récemment une version pleine de caractère du 1er Concerto sous la baguette de Débora Waldman (#NoMadMusic). On n’est donc pas surpris de retrouver notre découvreuse pianiste au cœur d’un enregistrement chambriste de La Boîte à Pépites réunissant la Ballade et la Romance pour violon et piano, le Trio « Dans un rêve » et le Quatuor avec piano en sol mineur.

Un projet né durant le confinement
Aucune redite par rapport aux sorties précitées s’agissant d’une réalisation construite autour du Quatuor avec piano. Une vieille connaissance pour Héloïse Luzzati et Célia Oneto Bensaid puisque c’est au tout début de la décennie, durant la période du confinement – propice à tant de découvertes musicales ... – que les deux musiciennes se sont prises de passion pour cet ouvrage. Cinq ans plus tard l’aventure de la Cité des Compositrices a connu le développement que l’on sait, avec une foultidude de découvertes et de révélations, en concert comme au disque, de Charlotte Sohy à Rita Strohl, de Jeanne Leleu à Liza Lehmann. Marie Jaëll se devait de trouver place au catalogue de La Boîte à Pépites : voilà qui est fait – et sacrément bien fait ! – la violoniste Manon Galy et l’altiste Léa Hennino s’étant associées au projet.

© Jean Fleuriot
Les quatre protagonistes de l’enregistrement étaient réunies aux Bouffes du Nord pour fêter la sortie de leur album (conçu avec le soin éditorial auquel La Boîte à Pépites nous a accoutumés) ; un concert au programme identique à celui du disque, formé d'œuvres écrites en l’espace d’une décennie (1875-1886) par une musicienne qui disait créer sous le « grand ciel intérieur » de son inspiration.
On commence par la Romance pour violon et piano (1882) : de sa sonorité bien identifiable, lumineuse et charnue, Manon Galy déploie la ligne mélodique avec tendresse et simplicité sans chercher à faire dire à la musique plus qu’elle ne saurait offrir.

© Jean Fleuriot
Variété dans une parfaite cohésion
Elle peut tout autant compter sur le piano complice et finement nuancé de Célia Oneto Bensaid dans la Ballade pour violon et piano. De 1886, la pièce se révèle d’une tout autre ampleur (13’), très originale par la diversité d’idées rassemblées avec une cohésion d’ensemble remarquable. « Continuité ininterrompue d’imprévisible nouveauté » : la citation de Bergson retenue par Jean-François Boukobza dans son commentaire paraît on ne peut plus appropriée. Un enregistrement a précédé : la familiarité qui unit la violoniste et la pianiste à la musique de Marie Jaëll leur permet de restituer la Ballade de manière aussi vivante qu’organique.
Dans un rêve : le titre du Trio pour violon, violoncelle et piano donnent le ton d’une pièce très ramassée (aucun de ses trois mouvements ne dépasse trois minutes) où priment délicatesse et demi-teinte. Comme un intermède d'une douceur pastel, distillé par les deux interprètes précitées et Héloïse Luzzati.

© Jean Fleuriot
Une voix singulière et puissante
Après cette délicate pièce vient le Quatuor avec piano en sol mineur, pour lequel Léa Hennino prend place parmi ses trois collègues. Créé à la Société Nationale en avril 1876, l’ouvrage résultait de la transformation pour trois archets et piano d’un Quatuor à cordes écrit l’année précédente (et qui devait rester inédit jusqu’en 2010). Résultat admirable de solidité dans la construction et de souffle dans l’expression ! On comprend que le public des Bouffes n’ait pu retenir ses applaudissements à la fin d'un Allegro initial mu par une saisissante progression dramatique. L’enthousiasme n’était pas moindre au terme de l’ouvrage, car si Marie Jaëll montre qu’elle a écouté Brahms, elle fait néanmoins entendre une voix aussi singulière que puissante dont les quatre interprètes se sont emparées avec la plus convaincante ardeur. En bis, le finale du Quatuor avec piano de Jeanne Leleu vient rappeler avec générosité une autre grande réussite de La Boîte à Pépites.
Prochains rendez-vous de La Boîte à Pépites/La Cité des Compositrices le 12 septembre (Amphi de la Cité de la musique) avec Célia Oneto Bensaid, dans le magnifique programme « Musique sur l’eau » créé en juillet dernier au Festival de Menton (1), et le 14 décembre (Salle des concerts) pour le désormais rituel « Concert La Boîte à Pépites », véritable festival de raretés. (2)
Alain Cochard

Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, 6 octobre 2025.
(1) www.concertclassic.com/article/celia-oneto-bensaid-au-festival-de-menton-2025-histoires-deau-compte-rendu
philharmoniedeparis.fr/fr/activite/recital-piano/28723-musiques-sur-leau
(2) philharmoniedeparis.fr/fr/activite/concert/28538-la-boite-pepites
Photo © Jean Fleuriot
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