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HJ Lim - Beethoven en liberté

La valeur n’attend pas… HJ Lim n’a pas encore atteint le quart de siècle que, déjà, elle a à son actif une intégrale des Sonates de Beethoven (EMI). «C’est bien petit, mais tu sais, Beethoven ça ne se joue pas, ça se réinvente », dit un jour Anton Rubinstein à Alfred Cortot, alors élève de Louis Diémer au Conservatoire de Paris. Il semble que la jeune Coréenne ait elle aussi médité ce conseil avisé car l’on ne peut qu’être saisi - et en ce qui nous concerne enthousiasmé - par la liberté et la franchise d’une interprétation résolument signée. Les interprètes coréens marquent décidément la discographie beethovénienne de ce début de 21ème siècle : après la fabuleuse version des Sonates de Kun Woo Paik (Decca), riche de l’expérience et de la sagesse de toute une vie, HJ Lim fait entendre une autre voix singulière sur un terrain pourtant archi-rebattu.

La participation de la pianiste au « Maestro and friends » autour de Byron Janis pour un récital Beethoven-Rachmaninov au Bouffes du Nord dimanche 21 (à 17h) a, depuis son annonce, prit plus d’ampleur que prévu du fait de l’annulation pour raisons de santé de la venue du pianiste américain. Outre le concert de dimanche, HJ Lim sera aussi sur la scène des Bouffes du Nord lundi 22 lors d’une soirée où on l’entendra à deux pianos avec Alexandre Rabinovitch-Barakovsky, après un début de concert piano solo confié à Henri Barda. C’est d’ailleurs un « Maestro and friends » complet que le Théâtre des Bouffes du Nord devrait consacrer à ce maître qui allie la vision d’un grand interprète à un sens pédagogique unanimement reconnu. HJ Lim a été pendant six ans son élève au CNSM de Paris et ne manque pas de reconnaître sa dette envers un aîné dont la rencontre s’est avérée déterminante.

« Ça a été une grande chance d’avoir Henri Barda comme professeur. Un grand pédagogue ce n’est pas quelqu’un qui vous dit comment jouer la main gauche, comme faire tel ou tel détail, mais d’abord quelqu’un qui capte la personnalité de l’élève et sait le guider. Henri Barda a compris ce dont j’avais absolument besoin : la liberté. Il m’a donné l’autorisation d’être libre ; ce n’est pas une chose facile quand on a 16 ou 17 ans. Quand j’avais 13 ans, je mourais d’envie de jouer la Sonate de Liszt. « Tu es trop jeune », me disait mon professeur d’alors ; elle ne voulait rien entendre. Je menais une double vie, l’une avec le répertoire imposé par mon professeur, l’autre avec le répertoire que j’aimais ( la Sonate de Liszt, la 5ème de Scriabine, des Rachmaninov, etc.). Pendant deux ans j’ai vécu ainsi et quand j’ai rencontré Henri Barda, il accepté de m’écouter dans la Sonate de Liszt et m’a encouragée. Henri est pour moi le professeur idéal. » L’audition d’enregistrements d’Ignaz Friedman, Alfred Cortot, Samson François ou Vladimir Horowitz est par ailleurs venue enrichir l’univers musical d’une jeune artiste qui, on l’aura compris, a rayé les mots tiédeur et conformisme de son dictionnaire – elle a bien fait !

Beethoven aura finalement été peu présent dans les cours avec Henri Barda et c’est après la fin des études auprès de lui que HJ Lim s’est lancée dans l’ambitieux projets des Sonates, qu’elle a déjà eu l’occasion de jouer intégralement à Paris en 2010, en l’espace d’une huitaine de jours dans le cadre assez confidentiel de la Cathédrale Sainte-Croix-des-Arméniens. Passionnée par l’homme Beethoven, la pianiste s’est plongée dans les biographies et tous les documents permettant d’approcher au plus près la personnalité du compositeur - dont elle pourrait vous parler pendant des heures dans un français absolument parfait. « Chaque sonate reflète un aspect de la vie de Beethoven », remarque une interprète qui a opté dans sa quasi-intégrale(1) pour un classement par ensembles thématiques (Eternel féminin, Destin, Nature, Idéaux héroïques, etc…).

Par-delà ce choix, c’est bien évidemment la personnalité et la puissance de son interprétation qui emportent l’adhésion. Les génuflexions devant la statue de Beethoven, les poses pseudo-métaphysiques ne sont pas l’affaire d’une artiste conquérante dont la puissance et l’allant du geste, la concentration du propos font la différence. HJ Lim dépasse l’horizon de la barre de mesure et s’attache à mettre en valeur – et en conflit si nécessaire – les blocs qui structurent le discours beethovénien. Depuis Earld Wild dans son enregistrement de 1994, on n’avait pas entendu – avec un pianisme, et un instrument, certes tout à fait différents - une version aussi libre et jubilatoire de la Sonate « Hammerklavier ».

On se régale par avance en découvrant que cette dernière est au programme du récital de dimanche, à côté des Etudes-Tableaux de Rachmaninov où le jeu vivant et contrasté de HJ Lim promet de faire merveille également. Henri Barda est trop rare sur les scènes parisiennes : notez donc aussi la soirée de lundi, pour des Valses nobles et sentimentales de Ravel et des Préludes de Chopin qui promettent de bousculer pas mal d’habitudes…

Alain Cochard
(les propos de HJ Lim cités dans cet article ont été recueillis le 4 octobre 2012)

(1) On ne saurait en vouloir à HJ d’avoir exclu les deux Sonates op 49 ; sonatines devenues sonates sur l’insistance d’un éditeur... 30 Sonates en tout donc. (8 CD EMI )

Récital HJ Lim
Œuvres de Beethoven et Rachmaninov
21 octobre – 17h
Avec Henri Barda et Alexandre Rabinovitch
22 octobre – 20h30
Paris – Théâtre des Bouffes du Nord

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Photo : Simon Fowler, licensed exclusively to EMI Classics
 

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