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Hamlet au Theater an der Wien - Justice rendue à Ambroise Thomas - Compte-rendu

Il est des chefs-d’œuvre «oubliés» qui ont besoin d’être servis par l’excellence pour être reconnus à leur juste mesure ; Hamlet, d’Ambroise Thomas, est ce ceux-là. Pénalisé par la comparaison avec l’original shakespearien, le livret de Michel Carré et Jules Barbier n’en demeure pas moins un support très efficace pour les atmosphères et l’introspection des personnages, peinture dans laquelle le compositeur français se révèle maître. Songeons à la grande scène d’Hamlet au troisième acte, « Être ou ne pas être », soutenue par les bois graves, à l’air de la folie d’Ophélie ou encore à l’apparition du spectre pour mesurer les qualités d’orchestration d’une partition qui a su retenir les leçons du Grand Traité d’instrumentation de Berlioz. Sans compter un sens de la construction dramatique parfaitement dans l’esprit du grand opéra à la française – dont on peut faire remonter les origines à la tragédie lyrique de Lully.

Après Les Huguenots, Olivier Py confirme ses affinités avec le XIXe siècle français. Réutilisant un matériel scénographique déjà éprouvé – décor anthracite mobile, escaliers, etc. – il sait rendre palpable le climat malsain dans lequel baigne l’intrigue, et qui culmine dans le duo avec la mère où Hamlet chante en tenue d’Adam, assis dans la baignoire, puis debout, au vu de toute la salle. Pour audacieux que soit le procédé, il ne verse jamais dans la provocation gratuite – et peut-être ici encore moins que dans ses précédents opus. Ni minimaliste, ni illustrative, cette production, portée par une direction d’acteurs d’une belle pertinence, rend enfin justice à l’ouvrage d’Ambroise Thomas.

D’autant que la distribution vocale confine à l’excellence, avec au premier chef l’incarnation du rôle-titre par Stéphane Degout. Doté d’un timbre charnu et d’une diction impeccable, le baryton français a gagné en assurance et en profondeur depuis sa prise de rôle alsacienne en juin dernier. Avec ses inflexions rocailleuses qui jalonnent les complexités psychologiques du prince du Danemark, il s’affirme comme l’Hamlet du moment. Ophélie toute en fragilité et généralement intelligible, Christine Schäfer émeut dans une composition qui rappelle parfois Natalie Dessay – les deux voix présentent d’ailleurs un air de parenté, en particulier dans le lancement un peu tendu des aigus.

Philipp Ens et Stella Grigorian forment un couple royal tourmenté. Frédéric Antoun compose un Laërte vaillant tandis que Jérôme Varnier trouve la juste mesure du sépulcre pour le Spectre du monarque défunt. Pavel Kudinov ne dépare pas en Polonius. Des deux fossoyeurs, Martijn Cornet, également Horatio, se distingue par un style impeccable ; Julien Behr, aussi Marcellus, se montre lui plus fébrile.

Clef de voûte de l’ensemble, Marc Minkowski dirige les Wiener Symphoniker avec un enthousiasme que n’effraie pas l’ivresse des climax, au risque d’une certaine saturation, sensible dans l’acoustique assez sèche du Theater an der Wien. Il a au moins le mérite de laisser s’épanouir la riche palette orchestrale de la partition. Partenaire idéal dans la restitution stylistique du romantisme français, le chœur Arnold Schoenberg, préparé par Erwin Ortner, impressionne par la pureté de sa diction.

Après Vienne, le spectacle partira à Bruxelles en 2013 et constituera à coup sûr un des moments forts de la saison du Théâtre de la Monnaie.

Gilles Charlassier

Thomas : Hamlet – Autriche, Vienne, Theater an der Wien, 5 mai 2012

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Photo : DR
 

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