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Gustavo Dudamel dirige le Sinfonia Grange au Lac en clôture des Rencontres Musicales d’Evian 2019 – Plénitude et rigueur – Compte-rendu

Idée majeure et parfaitement équilibrée que d’avoir clos ces Rencontres Musicales d’Evian sur une confrontation de titans, menée avec une intelligence souveraine par Gustavo Dudamel, si maître des déchaînements orchestraux qu’on en oublie qu’il n’a pas encore quarante ans. Idée majeure donc d’avoir mis en regard la Quatrième Symphonie de Beethoven et la Quatrième de Brahms, lequel était l’âme de cette session. Plutôt rare, en effet est l’exécution de cette œuvre de Beethoven qui surprend, coincée entre la tragique Troisième et la puissante et complexe Cinquième.
 
Et il est vrai, bien qu’elle soit largement connue, qu’elle continue de surprendre par la vision ainsi apportée d’un Beethoven presque joueur, parfois même espiègle dans le dernier mouvement. Une légèreté, une jubilation quasi mozartienne sans pour autant en avoir les ressorts psychologiques : comme un souffle d’air dans une somme qui s’inscrit surtout dans un grand acte de volontarisme idéaliste. Là, merveille, Beethoven danse, batifole, très différemment que dans son "Hymne à la Danse", lequel a plutôt quelque chose d’apollinien. De quoi convenir idéalement à la baguette et à la personnalité de Dudamel, à son amour d’une rythmique effervescente, mais néanmoins menée avec un sens de la géométrie sonore qui en impose par la netteté de ses lignes et séduit par sa fraîcheur.
De quoi faire ressortir la finesse d’un travail accompli par le chef en très peu de temps puisque l’orchestre Sinfonia Grange au Lac, créé l’an dernier et réuni périodiquement (il est constitué de membres de grandes phalanges françaises et européennes), n’a que quelques jours pour faire de ses pupitres tous virtuoses un acte de pensée commune, une seule énergie. Ici elle était victorieuse et parvenait par moment à donner au discours beethovénien la vitalité trémulante de quelque ouverture de Rossini, genre Scala di seta, écrite six ans plus tard !
 

© Franck Juery
 
S’il est donc arrivé à Beethoven de voir la vie en légèreté, ce fut rarement le cas pour Brahms et notamment avec la Quatrième Symphonie, accomplissement de son travail de symphoniste et sorte de conclusion patrimoniale de ses attaches avec la grande tradition germanique. Dudamel a empoigné ses thèmes grandioses comme un défi, secouant ce que l’œuvre peut avoir de trop puissant pour en faire monter les pulsions, la traitant avec une intensité dynamique qui est le propre de sa baguette. Au point de surprendre parfois pour une symphonie dont on ressent surtout le caractère touffu plus que les ressorts mobiles, avec des diminuendo d’une extrême subtilité et des chocs spectaculaires.
Un peu trop de vigueur contrastée dans le premier mouvement, peut-être, puis le vaisseau s’ébranlait avec une richesse de cordes somptueuse, éclairée par la vivace sonorité de Silvia Careddu, flûtiste à la Wiener Staatsoper, montrant combien les musiciens faisaient corps avec le chef. Et avec l’entreprise qui culminait donc ce soir-là, après avoir dispensé quelques très hauts moments, notamment avec Benjamin Grosvenor and Friends la veille.
« Quand j’entends quelque chose en moi, c’est toujours le grand orchestre », disait Beethoven. C’était également vrai ce soir là pour Brahms, au cœur de sa maturité et pour le jeune chef Dudamel, déjà si accompli, qui servit les deux géants avec une tenue aussi ferme que colorée. Les Rencontres d’Evian n’ont pas oublié son apparition ici même il y a deux ans, où, avec Edgar Moreau et le Mahler Chamber Orchestra, il donna pour les dix ans de la disparition de Rostropovitch un concert qui fit date.
 
Jacqueline Thuilleux

Evian, Grande au Lac, le 6 juillet 2019
 
Photo © Franck Juery

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