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Giovanna d’Arco de Verdi à l’Opéra de Rome – Retour raté pour la pucelle - Compte-rendu

 Privé de Giovanna d’Arco depuis bientôt cinquante ans, le Teatro di Roma vient de réparer cette injustice en ouvrant sa saison avec un ouvrage mal aimé de Verdi (il fut créé à Milan en février 1845). La présence en fosse de Daniele Gatti et au plateau du prolifique Davide Livermore avait de quoi aiguiser la curiosité d’un public contraint, depuis la pandémie, de suivre l’actualité lyrique par le biais du streaming. Avec cette production qui rassemble en plus de forces musicales celle du corps de ballet, les spectateurs auraient dû vivre un grand moment d’opéra. Malheureusement le décor unique (signé Giò Forma) constitué d’une structure composée de cercles concentriques posés sur un plan incliné, sorte de gouffre aspirant surplombé par une rosace sur laquelle sont projetées en continu des images-symboles (D-Wok) censées représenter les visions de la pucelle, ne dépassent pas le stade de l’anecdote.
 

Roberto Frontali (Giacomo) & Nino Michaidze (Giovanna) © © Fabrizio Sansoni-Teatro dell'Opera di Roma

Par peur du vide, Livermore, également responsable de chorégraphies d’un autre âge, ne peut s’empêcher de surcharger son propos d’effets convenus et appuyés, tels ces anges aux ailes argentées qui ne cessent de tournoyer et d’envahir la scène pour se télescoper à des démons tout de noir vêtus, tandis que d’autres incarnent les doubles des personnages. La confusion règne donc pendant les ensembles, alternant avec des pages d’un statisme éprouvant qui pétrifie les trois personnages principaux de ce drame sans véritable action. Quelques accessoires comme ce trône ou ce drapeau qui passe de main en main, servent de viatique aux chanteurs laissés raides comme des piquets, face au public, sans échanger le moindre regard entre eux.

Ainsi traitée l’œuvre laisse apparaître les faiblesses de son livret, d’évidentes carences dramaturgiques que renforce l’absence de scènes de liaison entre chaque partie. L’intrigue n’en est que plus décousue et le discours éclaté devient vite superficiel, d’autant que Solera choisit, rappelons-le, de faire mourir sa visionnaire pure et exaltée au combat, prenant ainsi des libertés avec la réalité … Livermore a beau se persuader que Verdi voulait avec sainte Giovanna dénoncer une patrie blessée qui n’attendait que l’unité, sa manière de l’exprimer oscille entre simplisme et emphase sans parvenir à trouver l’équilibre escompté.
Après plusieurs mois d’arrêt, l’orchestre de l’Opéra semble bien rouillé sous la baguette pesante de Gatti, habituellement plus communicatif et inspiré. Etouffés, sans souffle ni énergie, les instrumentistes passent à côté des diaprures qui parcourent la partition et des moments qui préfigurent le futur grand Verdi, ne soulignant que le rugissement des cabalettes risorgimentales et des tutti aux allures martiales.
 

© Fabrizio Sansoni-Teatro dell'Opera di Roma

Le timbre incolore et la voix pâle voix de Nino Michaidze n’apportent aucun sang neuf à l’héroïne dont le conflit intérieur s’apparente davantage à un accès de folie, qu’à un dialogue mystique avec les puissances surnaturelles. Privé d’éclat et de chair, et déclamée dans un italien des plus approximatifs, l’interprétation qui devrait être épique et enflammée ne fait que l’effet d’une eau tiède déversée au même débit : avec une voix moins voluptueuse que celle de Caballé – dont la prestation au disque (EMI) reste exemplaire –, Patrizia Ciofi s’était surpassée dans ce rôle, l’an dernier à Metz(1)

Francesco Meli manque toujours de souplesse et d’élan, mais son Carlo bien que sonore, est soigné, le ténor veillant à respecter les nuances et à contraster sa ligne de chant. Contraint comme ses collègues au statisme, celui-ci ne peut en revanche offrir qu’une silhouette aux gestes étiques et répétés. Scéniquement inexpressif et doté aujourd’hui d’un instrument gris et altéré aux deux extrémités, Roberto Frontali fait ce qu’il peut dans le rôle pourtant très bien écrit de Giacomo, qu’il semble survoler sans trop y croire, entouré par d’efficaces seconds rôles (Leonardo Trinciarelli en Delil et Dmitry Beloselskiy, Talbot) et de puissants chœurs (préparés par Roberto Gabbiani), au galbe vocal admirable.

François Lesueur

(1) www.concertclassic.com/article/giovanna-darco-de-verdi-lopera-de-metz-farouche-engagement-compte-rendu 

Verdi : Giovanna d’Arco - Teatro dell’Opera di Roma (Teatro Costanzi) ;  17 octobre 2021 ; prochaines représentations les 22 et 24 octobre 2021 / www.operaroma.it/spettacoli/giovanna-darco/
 
Photo © Fabrizio Sansoni-Teatro dell'Opera di Roma

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