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François Dumont - Un mozartien est né
Riche actualité pour François Dumont, en disque et au concert. Tandis que paraît une remarquable intégrale des sonates de Mozart sous le label Anima(1), le jeune pianiste français (né en 1985) de produit en musique de chambre, à Rennes (au sein du Trio Elégiaque) le 10 décembre, puis le lendemain à Paris, avec le violoniste Julien Szulman. Rencontre avec un mozartien fervent…
Un intégrale Mozart au disque à vingt-quatre ans… Le moins que l’on puisse dire est que vous n’aurez pas attendu pour oser franchir le pas !
François DUMONT : « C’est vrai, mais au départ j’ai eu l’occasion de donner la totalité du corpus en concert et le pas est assez vite franchi ensuite lorsqu’il s’agit d’enregistrer. J’avais passé beaucoup de temps auparavant sur Mozart d’une façon générale ; les sonates pour piano évidemment, mais aussi celles pour violon et piano. Une fois que l’on est dans Mozart on découvre beaucoup de correspondances entre les œuvres, on s’imprègne de ce langage et les choses se font naturellement ensuite. Enregistrer les sonates pour piano paraît constituer un énorme projet, mais une fois que l’on est lancé, c’est une expérience très agréable.
On pourrait dire que vous vous être véritablement « structuré » autour de ce compositeur ?
F. D. : En effet. Mozart suppose une exigence tant pianistique que stylistique que je trouve très saine comme base de formation. On apprend beaucoup aussi des autres aspects du compositeur, ses œuvres vocales, sa musique de chambre.
Vous aviez déjà fait l’expérience de l’intégrale des sonates partagée en plusieurs soirées. Mais quelle que soit votre familiarité avec les œuvres, le fait de les enregistrer en un temps très bref a dû constituer une expérience singulière ?
F. D. : Il est vrai que nous disposions d’une période très courte – quatre jours et demi en tout. Cela ne tenait pas à des questions financières, mais seulement à la disponibilité du studio (La Chaux-de-Fonds est un lieu très demandé) et à mon agenda et celui du preneur de son. C’était court, mais je garde un excellent souvenir de ce moment de concentration, de ferveur. Nous travaillions au moins dix heures par jours. Les journées passaient à une vitesse éclair ; mais il y avait une sorte d’évidence aussi, d’énergie très positive ! Le fait d’enregistrer en peu de temps offre un aperçu global intéressant ; on évolue avec l’écriture du compositeur. Je n’avais pas choisi de faire les sonates en un temps si court, mais je ne le regrette franchement pas.
J’imagine aussi que d’enregistrer dans un studio mythique tel que La Chaux-de-Fonds, où tant de grands noms sont passés, a dû ajouter une dimension affective à votre enregistrement ?
F.D. : Arrau entre autres y a enregistré et j’ai d’ailleurs joué le piano qu’il a utilisé pour ses derniers enregistrements. Il s’agit d’un Steinway d’une cinquantaine d’années qui a été entièrement refait. Un piano un peu « à l’ancienne », pas du tout percussif, qui chante beaucoup et permet d’explorer les couleurs, dans les pianissimos notamment car il a une vrai pédale un corda. Cette sonorité longue, chaleureuse, cette grande palette expressive étaient un vrai atout.
Avez-vous déjà expérimenté les sonates de Mozart sur pianoforte ?
F. D. : J’ai plusieurs fois eu l’occasion de travailler avec Paul Badura-Skoda et joué certaines sonates sur un magnifique pianoforte viennois qu’il a chez lui. Le son est très clair, la mécanique très raffinée permet une gradation dynamique très précise. On ne peut pas faire d’énormes nuances, des fff, mais entre le ppp et le f les possibilités de gradation sont très développées. Le pianoforte demande une autre façon de jouer ; il faut réfléchir à la pédale, dans la mesure où elle se met avec le genou, à l’articulation aussi. Cette expérience s’est révélée très intéressante, surtout avec quelqu’un qui s’y connaît autant que Badura-Skoda.
J’ai par ailleurs eu l’occasion de jouer les premières sonates de Mozart au clavecin, mais aussi au clavicorde. C’est un instrument que j’aime beaucoup car il suppose tout un raffinement dans le toucher et permet de faire du vibrato – le rêve de tout pianiste ! – bien que l’ambitus sonore soit vraiment réduit. Tout ça reste des expériences, elles ne sont pas la base de mon travail, mais m’offrent des informations très intéressante sur la technique de jeu et, surtout, l’image sonore. Les oreilles s’ouvrent à un autre monde que l’on peut essayer de recréer sur le piano moderne.
J’ai beaucoup appris également, par les livres et les disques, d’Harnoncourt dont la réflexion est très complète. N’en concluez pas que j’adhère à tous ses principes d’interprétation, mais il constitue pour moi une référence en matière de style et, surtout, d’audace. Relire le texte comme si c’était la première fois, comme si personne n’était passé par là ; je trouve la démarche très positive !
Mais difficile…
F. D. : Difficile, parce que beaucoup de grands noms ont marqué les œuvres. Mais en même temps, quand on se lance dans un projet personnel tel qu’une intégrale des sonates, il est vital de fouiller le texte dans tous les recoins, non pas pour être fidèle à tout prix – ce n’est pas le but en soi, le but demeure l’émotion -, mais pour découvrir les articulations très détaillées de Mozart. Il a dépensé beaucoup d’encre pour ça et on les néglige trop souvent. Il faut entendre ses «coups d’archet », réfléchir aux nuances aussi pour essayer de savoir quelles étaient vraiment ses intentions. En bref ne pas être fidèle au texte pour être fidèle à la lettre, mais être fidèle à la lettre pour comprendre l’esprit. Il faut faire des choix, les assumer, et l’on a des raisons pour ça : ce ne sont pas des choix totalement arbitraires. Au bout d’un moment, la fréquentation des sonates offre une vision globale. Ce n’est pas de la voyance, mais des choses qui paraissent plus logiques et cohérentes. Les problématiques posées par les sonates de Mozart me passionnent, j’aime passer du temps là-dessus. C’est la part de liberté de l’interprète – et je suis persuadé que Mozart ne faisait pas toujours la même chose.
Pour conclure, venons-en à vos prochains concerts de musique de chambre. A Rennes tout d’abord, avec Virginie Constant et Laurent Le Flécher, vos deux collègues du Trio Elégiaque. Que vous apporte cette collaboration déjà ancienne ?
F. D. : Il y a six ans en effet que nous jouons régulièrement ensemble. C’est un travail que j’aime énormément, d’abord pour le répertoire de trio, l’un des plus beaux de la musique de chambre, et puis aussi parce que ça me permet de me ressourcer. On ne joue pas de la même façon en solo qu’en trio et la fréquentation des instruments à cordes est une chose très importante pour un pianiste. Il est instructif de les regarder travailler, régler les coups d’archets et d’autres points spécifiques aux cordes, de s’imprégner de leur texture sonore. Nous nous produisons au Tambour à Rennes, un lieu que j’aime beaucoup. Il s’agit d’un espace un peu expérimental, dédié surtout au répertoire contemporain. Nous y avons déjà joué le programme de notre CD Messiaen-Dusapin (1). Cette année, outre le Trio d’Ernest Chausson, nous donnerons un ouvrage de Florentine Mulsant, une oeuvre en hommage à Schumann. Puis nous interpréterons pour la première fois le 2ème Trio de Kagel, un œuvre frappante qui porte sur sa dernière page la date du 11 septembre 2001. Je ne sais pas exactement quel est le lien avec cette date, mais l’œuvre présente un côté assez tragique, se révèle très imaginative du point de vue sonore et merveilleusement écrite pour le trio.
Vous collaborez par ailleurs régulièrement avec le violoniste Julien Szulman…
F. D. : Il y a deux ans que nous travaillons ensemble. Nous avons été réunis grâce à un concert de la Fondation Banque Populaire. Nous nous sommes très bien entendus et nous avons ensuite joué pour la série « Déclic » de Cultures France à Radio France, avant de débuter une collaboration régulière. A Paris, dans le Grand Salon de l’Hôtel national des Invalides, nous jouerons deux sonates françaises : Lekeu et Ravel. Deux sonates merveilleuses, qui ne sont finalement pas très jouées.
Des projets discographiques en musique de chambre ?
F. D. : Avec le Trio Elégiaque, nous avons enregistré pour le label Triton un programme de trios russes : le Trio d’Arensky, celui de Rimski-Korsakov et le 1er Trio élégiaque de Rachmaninov. La sortie en prévue au cours du premier trimestre de l’année prochaine.
Entretien réalisé par Alain Cochard, le 25 novembre 2009
(1) 5CD ANM / 0904400001 / MVE Distribution (www.entremuses.com/anima)
(2) 1 CD Triton : www.disques-triton.com/fr/index.asp
Concert du Trio Elégiaque
Œuvre de Chausson, Kagel, Mulsant
10 décembre 2009 – 20h30
Espace musical Le Tambour
Campus Villejean
6 avenue Gaston Berger
35000 – Rennes
Tel . : 02 99 14 11 41
Récital Julien Szulman-François Dumont
Œuvres de Lekeu et Ravel
11 décembre 2009 – 12h15
Grand Salon de l’Hôtel National des Invalides
129, rue de Grenelle – 75007 - Paris
Entrée libre dans la limite des places disponibles
Photo : DR
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