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Florian Noack aux Pianissimes - Frisson poétique - Compte-rendu

Que des aînés du calibre de Menahem Pressler ou Boris Berezovsky prêtent une oreille attentive au talent d’un jeune collègue tel que Florian Noack (23 ans) n’a rien d’un hasard. Le public nombreux massé dans le Grand Salon Rouge du Cercle Suédois a pu s’en convaincre avec un récital tout au long duquel est passé ce frisson qui – les habitués des concerts le savent trop bien… – ne se produit pas si souvent.

Un brin de tension se lit sur le visage lors de l’entrée en scène, mais dès que l’artiste prend place au piano tout change ; il ne pense plus que musique et un contact immédiat s’établit avec l’auditoire. Un Steingräber ? L’animal se fait rare dans les salles et l’artiste belge prouve qu’il sait parfaitement dompter la personnalité atypique de son instrument pour l’exploiter à des fins expressives. Cette sonorité boisée fait merveille dans la Sonate D 568 de Schubert où le propos, charmeur et fluide, est vivifié par une belle mise en valeur des plans sonores. Mention particulière pour l’Andante molto dont l’ambiguïté est remarquablement saisie. Noack a très peu abordé le musicien autrichien jusqu’à présent ; il peut s’y aventurer sans complexe - et dans des ouvrages d’une autre densité que celui-ci. On s’est pris à rêver d’une D 959 sous ses mains…

Saisissant – et pertinent - contraste : les Quatre Etudes op 2 de Prokofiev succèdent à la fraîcheur schubertienne. Le pianiste a mille fois raisons de défendre ce cahier trop peu joué – n’y pose pas les doigts qui veut il est vrai.... On l’imaginerait a priori sur des instruments plus clairs et tranchants : Florian Noack joue de la sonorité très typée de son piano pour mieux souligner la formidable sauvagerie de pages qu’il sert avec une technique époustouflante et un jeu très orchestral mais jamais dur. On imagine le décoiffant effet de ce barbare opus dans les salons pétersbourgeois à l’orée du siècle dernier…

Plat de résistance de la soirée, la Sonate n°3 de Chopin avait déjà été jouée par Florian Noack lors de la « Journée portes ouvertes » du Festival de Bagatelle en 2009. On mesure l’évolution. Ne parlons plus de talent prometteur ; c’est un jeune maître qui est à l’œuvre ici. D’une hypnotique force, le Largo constitue le centre de gravité d’une interprétation étonnamment dense et structurée (quelle mystérieuse et nocturne profondeur découvre-t-on dans la section médiane du Scherzo) dont le Presto final semble se remémorer les fantômes de la Funèbre.

Rareté pour conclure avec la Tarentelle op 25 de Liapounov (1), coruscante page où le pianiste conjugue une contagieuse jubilation virtuose à une stabilité rythmique irréprochable. Applaudissements nourris et bis signés Tchaïkovski/Noack et Liszt concluent en beauté une soirée à marquer d’une pierre blanche dans la découvreuse saison des Pianissismes.

Prochain récital de Florian Noack à Paris le 13 juillet, au Festival Chopin de Bagatelle.

Alain Cochard

Paris, Cercle Suédois, 25 mars 2013 / www.lespianissimes.com

(1) Passionné de répertoires rares, Florian Noack entame une intégrale de l’œuvre pour piano de Liapounov. Le volume I paraîtra sous peu chez ARS Produktion (dist. Abeille). 

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Photo : DR
 

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