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Florian Noack aux Nuits du Piano / Salle Cortot –Subtil et orchestral – Compte-rendu

 

Annulation et remplacement au pied levé ; les virus en circulation conduisent à la multiplication de ce scénario et la série Les Nuits du Piano n’y a pas échappé. On attendait avec impatience de découvrir Anna Tsybuleva (Médaille d’or du Concours de Leeds 2015) ce 13 décembre à Cortot : changement de programme ! Souffrante, l’artiste russe a dû renoncer à se produire contraignant Patrice Moracchini, directeur artistique des Nuits, à trouver in extremis une solution de remplacement. Solution de luxe que la venue de Florian Noack, arrivé en dernière minute de Bruxelles avec un programme qui, s’il n’a pas surpris les fidèles du pianiste belge, a comblé l'auditoire.
 
A la curiosité pour les répertoires rares – sa somptueuse intégrale des Etudes d’exécution transcendante de Liapounov en est l’exemple le plus récent au disque (1)  –, Florian Noack ajoute un talent de transcripteur, peu courant parmi les interprètes d’aujourd’hui et qui nous renvoie à ce qu’un certain « âge d’or » du piano a produit de meilleur. Véritable rayon de soleil dans une soirée d’hiver, le Concerto pour 4 clavecins en la mineur BWV 1065 de Bach/Noack émerveille par son dynamisme et l’intensité de ses coloris. Le magnifique Steinway que touche l’interprète ne peut il est vrai que l’aider dans le déploiement de son art – parfaite mise en valeur des plans sonores. Reste qu’un piano, aussi beau soit-il, ne sera jamais qu’instrument : on est avant tout admiratif d’une élégance innée et d’une virtuosité accomplie qui n’éprouve jamais le besoin de se pousser du col.
 

© Patrice Moracchini / Les Nuit du Piano

Que l’on se garde bien de cantonner Noack à un seul répertoire. Schubert lui réussit tout autant, comme le prouve la Sonate D. 571 (1817) : l’interprétation de la Sonate en fa dièse mineur, derrière un style impeccable et une profonde simplicité, souligne tout ce que cette musique pressent du siècle à l’orée duquel elle se situe.
La Paraphrase que le pianiste a composée « d’après différentes valses » de Johann Strauss ne fait appel à aucun thème fameux de l’illustre viennois. Le transcripteur a préféré piocher dans les pièces méconnues (dont la Valse des baisers) la matière de sa partition. Elle s’ouvre à la manière d’une boîte à musique et, loin de tout effet tapageur, mise sur le raffinement des couleurs : une petite merveille d’orfèvrerie pianistique.
 
Point n'est besoin de rappeler l'attachement de de Florian Noack au répertoire russe. Il occupe toute la seconde partie de son récital, avec une œuvre originale d’abord, les Contes de la vieille grand-mère de Prokofiev, dont un jeu narratif et plein d’images restitue la saveur sur un mode chaleureux et intimiste, doublé d’un profond sens harmonique. En contraste total, le piano se mue en véritable orchestre sous les doigts du virtuose pour la paraphrase qu’il a tirée de la Shéhérazade de Rimski-Korsakov. Ceux qui ont en mémoire d’autres interprétations de cette pièce, très présente dans les récitals du pianiste depuis quelques années, ou son enregistrement de la pièce (2014 / Ars Produktion) mesurent combien son approche de ce désormais cheval de bataille a mûri, s’est décantée. Sans rien perdre – c’est même tout l’inverse – de son souffle et de son sens du merveilleux.1ère Etude de Liapounov et Scène du Lac des cygnes de Tchaïkovski/Noack en bis pour conclure – en beauté !
 
Quant à Anna Tsybuleva, la série des Nuits du Piano ne l’oublie pas : l’ouverture de la saison 2023-2024 lui reviendra à l’automne prochain. Notez enfin que Lukas Genusias sera au rendez-vous de Cortot le 8 février prochain avec Schubert (Impromptus D. 899, Menuet D. 600) et Rachmaninov (1ère Sonate).
 
Alain Cochard
 

Paris, Salle Cortot, 13 décembre 2022 // paris.lesnuitsdupiano.fr/

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