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Fidelio à l’Opéra de Nice – La cage aux fauves – Compte-rendu

 

Il faut l’accepter, avec ses faiblesses et ses forces : Fidelio, œuvre à part dans la création beethovénienne, a besoin de géants pour le servir. Unique opéra du compositeur, qui l’aimait particulièrement et en dira plus tard : «  Mon Fidelio n’a pas été compris du public, mais je le sais, on l’appréciera encore… ». Pièce rare, assurément, et que l’on accole un peu trop facilement aux problèmes du temps alors que les horreurs des dictatures ne datent pas des époques récentes. Mais peu importe, et l’on en garde cet écho de Révolution française et de vibrante aspiration à la liberté, dont Beethoven, comme Hugo plus tard, avait fait son credo …
Il n’est donc aucunement gênant de voir situé ce Fidelio dans des geôles contemporaines, car que ce soient dans les cellules de l’Inquisition ou de Louis XI, les prisons nord-coréennes, chinoises, russes, syriennes ou turques, l’enjeu est le même : la folie du pouvoir face à une autre folie, l’aspiration de l’homme à un monde meilleur. Avec une composante essentielle qui situe le drame dans notre temps et plaît infiniment à ce jour, celle de la part victorieuse des femmes, puisque l’héroïne, Léonore-Fidelio a le beau rôle, et mieux, les deux genres …
 
Formidable à coup sûr, cette reprise de la mise en scène conçue en 2021 pour l’Opéra Comique par Cyril Teste, aidé de Valérie Grall pour les décors, qui élimine tout côté historique et géographique, très flou d’ailleurs, pour se concentrer sur l’horreur de l’univers carcéral et le salut dû à l’amour et au courage d’une épouse exceptionnelle. Reprise par Céline Gaudier, la composition montre donc, surmontée de vidéos  de Nicolas Doremus et Mehdi Toutain-Lopez, qui éclairent les agissements des personnages, des grilles, des portes, des barreaux, comme dans la Ligne verte, le film du génial Franck Darabont,  et le seul point faible en est la scène finale qui ne débouche pas sur assez de lumière salvatrice.
 

Gregory Kunde (Florestan) © Dominique Jaussein

Le jeu mis au point pour les personnages est d’un parfait équilibre, d’une gestique à la fois dépouillée ou excessive pour épouser les moments chocs de l’histoire, et l’on sait combien l’expression de la musique et son évolution sont y composites, car commencée dans une ambiance de Noces de Figaro avec le débat amoureux entre Marzelline et Jaquino, puis évoluant vers les grands airs de la Flûte Enchantée, elle devient préwagnérienne – on se souvient combien Wagner en fut impressionné lorsque jeune , il la découvrit – et finalement, tout simplement beethovénienne, avec sa force​ irrésistible.

Gregory Kunde (Florestan) & Angelique Boudeville (Léonore) © Dominique Jaussein

Pouvoir dévastateur contre liberté salvatrice: il faut des fauves pour tenir cet enjeu. Pour y parvenir, Bertrand Rossi, directeur de l’Opéra de Nice, a su réunir une distribution en tous points phénoménale : de Gregory Kunde, l’un des plus formidables Otello de notre temps, on a été émus profondément par sa composition déchirée en Florestan, alternant des appels d’une puissance terrible avec ses états d’anéantissement total. Le chanteur n’a pas perdu de son charme, si sa voix de son éclat. Bonheur absolu aussi que de retrouver le Rocco d’Albert Dohmen –  immense wagnérien – et qui montre ici combien sa technique et son ampleur sont impressionnantes dans leur émission à la fois claire et tonnante. Toute la salle en était comme envahie, alors que le rôle de Rocco, profond mais un peu fruste, n’est pas toujours aussi séduisant.
 

Marco Letonja © Dann Cripps
 
Superbes, les jeunes Jeanne Gérard en Marzelline, fine et charmeuse, seule personnage frais de ce drame chargé et son soupirant Valentin Thill, flic convainquant et las de son gourdin. Tous encadrant une Léonore d’exception, Angélique Boudeville, qui réussit le miracle d’allier un jeu sobre à une explosion vocale menée à la fois en finesse et en puissance avec des couleurs mozartiennes et des appels dignes de Sieglinde. Rôle énorme, complexe, qui lui a valu un vrai triomphe. Prix 2019 de l’AROP, couronnant La chanteuse de l’année, cette jeune femme, l’un des plus beaux fleurons du chant français, nous promet des lendemains qui chantent.
Tous évidemment menés tambour battant par l’énergique Marco Letonja, qui sait dégager  les énergies de cette œuvre émouvante, face à un Orchestre de l’Opéra de Nice et à des chœurs qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes avec un enthousiasme contagieux. Mais pauvre Beethoven : 1814, création de son opéra à Vienne, 1914, première guerre mondiale. Un siècle plus tard, le monde ne s’était beaucoup amélioré ...
 
Prochain rendez-vous à l’Opéra de Nice avec Donizetti et sa Lucía di Lammermoor, à découvrir du 17 au 23 février dans la mise en scène d'Andriy Yurkevitch
 
Jacqueline Thuilleux

 Beethoven : Fidelio – Nice, Opéra de Nice, le 24 janvier 2023 // www.opera-nice.org/fr

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