Le festival de création musicale de Radio France invite pour sa 30^e édition le compositeur britannique George Benjamin (photo), qui vient tout juste de fêter ses soixante ans. Un excellent choix tant ce musicien raffiné, qui fut l’élève d’Olivier Messiaen, a construit une œuvre personnelle dans sa facture et diverse par les formes qu’elle aborde. Toutes seront représentées au cours de ces Présences 2020, de la musique de chambre à l’opéra (Written on Skin le 14 février à la Philharmonie), en passant bien sûr par l’œuvre symphonique.
George Benjamin est, en effet, un excellent chef d’orchestre, qui dirige souvent ses propres œuvres mais aime aussi se plonger dans d’autres musiques. C’est ce qu’il fait pour ce concert d’ouverture avec, pour commencer, Ravel à son âme (2011) de Gérard Pesson. Bel effet d’abyme : un compositeur enlumineur dirige un maître de la miniature qui rend lui-même hommage à un génie de l’orchestration. Cet hommage à Ravel, qui ne s’abandonne jamais à la citation mais joue avec les réminiscences, avec une mémoire instinctive de la musique, avec le spectre même de Ravel, dans cette écriture tout en transparence, où l’Orchestre national de France se sent parfaitement à son aise. En fin de concert, Palimpsests (2002) de George Benjamin lui répond de façon un peu paradoxale : autant l’œuvre de Gérard Pesson se tient dans une amplitude rythmique et dynamique égale (au moins en surface), autant les polyphonies de George Benjamin se déploient avec force et contraste. Mais la recherche permanente de la clarté, un art subtil de nouer les lignes entre elles font de ces deux pièces d’orchestre de véritables leçons d’écoute.
 
Entre ces deux œuvres, George Benjamin dirige deux concertos pour piano. Son propre Duet (2008), avec son orchestre « déséquilibré » (sans violon mais avec force vents et percussions), met le piano et l’orchestre à égalité, virtuoses et contrastés tous deux. Sous les doigts de Vanessa Benelli Mosell, les contrastes se font cependant trop tranchés et son jeu ne peut traduire la richesse expressive de l’orchestre, qui préfigure parfois l’atmosphère de l’opéra Written on Skin. On retrouvera ce manque d’ampleur des sonorités dans la Toccata pour piano seul de Claire-Mélanie Sinnhuber que la pianiste crée après l’entracte. Pour Left, alone (2015) du Danois Hans Abrahamsen, c’est la main gauche d’Alexandre Tharaud, le dédicataire, qui se prête au jeu. La partition recèle quelques belles idées orchestrales (le dialogue du piano avec les claves, les contrebasses en sourdine) mais l’ensemble reste assez disparate et convenu.
 

Kristian Karlsen © Karl Gabor
 
George Benjamin sera de nouveau au pupitre, avec l’Orchestre philharmonique de Radio France, pour l’opéra Written on Skin. En attendant, il laisse à d’autres le soin de diriger ses œuvres. Le London Sinfonietta, complice de toujours du compositeur jouait ainsi At First Light, chef-d’œuvre de jeunesse (1982) sous la direction de Christian Karlsen. La beauté des timbres, l’invention et l’énergie de chacune des séquences demeurent fascinantes près de quarante ans après la création. Le mérite en revient également au jeune chef suédois (né en 1985), dont le geste simple mais diablement efficace fait sonner l’ensemble avec justesse et entrain. C’est le cas également pour (Re)cycle de David Hudry (né en 1978) qui, autour d’une pulsation d’apparence assez élémentaire, construit une œuvre vertigineuse et virtuose, dont le paysage se métamorphose sans cesse. On retrouve, plus affinée encore, la richesse d’écriture de ce compositeur, sa capacité à transformer les timbres déjà perçue dans des œuvres précédentes (dont The Forgotten City, 2016).
Ce concert était aussi un hommage à Oliver Knussen (1952-2018), ami proche de George Benjamin et ancien directeur musical du London Sinfonietta. Ses Songs without Voices (1991) pour petit ensemble, comme Sonya’s Lullaby (1977), magnifiquement interprétés par le London Sinfonietta puis le pianiste Florent Boffard, montrent une écriture sensible, pleine de joliesses mais fuyant trop souvent l’inconfort de l’invention. Une musique belle assurément, mais qui ne possède pas l’urgence, le caractère essentiel de celle de George Benjamin.
 
Jean-Guillaume Lebrun

Maison de la Radio, vendredi 7 et dimanche 9 février 2020/ 30e Festival Présences jusqu’au 16 février.
www.maisondelaradio.fr/festival-presences-2020
 
Photo © Matthew Lloyd