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Festival Palazzetto Bru Zane à Paris – Au bonheur des curieux – Compte rendu

Inauguré par une magnifique Olympie de Spontini au Théâtre des Champs-Elysées – soirée dont Pierre-René Serna vous a rendu compte (1) – le 4ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris s’est poursuivi dans son berceau des Bouffes du Nord, sur un mode intimiste mais non moins séduisant. Quel bonheur pour les curieux et les mordus de musique française qu’une manifestation qui n’a de cesse d’explorer des facettes négligées ou totalement ignorées du répertoire – et rappelle que l’histoire de la musique ne se réduit pas à des noms illustres et aux chefs-d’œuvre dûment estampillés par la postérité.
 
"Il était une fois ... " - Jodie Devos et Caroline Meng © Gaëlle Astier-Perret
 
Un récent « Disque de la semaine » consacré au programme « Il était une fois ... » de Jodie Devos, Caroline Meng et le Quatuor Giardini (1) a été l’occasion de souligner les qualités d’auteurs oubliés tels que Charles Silver, Laurent de Rillé, Nicolas Isouard, Pauline Viardot ou Frédéric Toulmouche - il s'agit d'un enregistrement destiné à accompagner un spectacle-récital dont la tournée commence. Gageons qu’elle sera longue et très applaudie, à en juger par l’accueil aussi chaleureux que mérité que lui a réservé le public des Bouffes du Nord. Programme identique à celui du CD ou presque, l’Allegro initial du Quatuor avec piano (1895) de Fernand de la Tombelle (1854-1928) s’y ajoutant et tenant lieu de prologue - héroïque. On goûte avec le même bonheur qu’au disque à une anthologie d’airs issus d’ouvrages inspirés par les contes de fées. Bonheur égal, bonheur accru par la formidable présence scénique, la complicité mutine et la complémentarité vocale de Jodie Devos et Caroline Meng, tout autant que par la dimension théâtrale qui naît de la pleine appropriation par les interprètes de cet « Il était une fois ... ». Au fil des reprises, il pourrait bien révéler des potentialités insoupçonnées.
 Charme, piquant, tendresse, onirisme – et parfaite fluidité des enchaînements - le caractérisent, autant que la surprise pour l’auditeur car, face à Offenbach, Rossini et Massenet, les «inconnus » ne déméritent pas - bien au contraire ! Silver, avec l’air d’Aurore de La Belle au bois dormant, ou Frédéric Toulmouche et ses couplets du flirt (La Saint Valentin) annonciateurs des années 1920 tiennent la dragée – très – haute aux trois gloires précitées, sans parler de l’admirable « Je viens te rendre à l’espérance » de la Cendrillon de Viardot. Quant au Quatuor Giardini, illuminé par le piano foisonnant de couleurs de David Violi (2), il ajoute beaucoup à la saveur et au relief du spectacle, en accompagnement des voix ou lors des intermèdes instrumentaux (dont un arrangement très réussi pour quatuor avec piano de Pippermint-Get de Séverac par Alexandre Dratwicki).
 
Marie-Nicole Lemieux © Denis Rouvre

Mal aimée la mélodie française ? Elle aura en tout cas fait salle comble lors du récital de Marie-Nicole Lemieux (photo), merveilleusement accompagnée par Daniel Blumenthal. On sait gré à l’artiste de s’être prise avec autant de poésie que d’authentique simplicité au jeu d’un programme qui, avec les Cinq Mélodies de Venise de Fauré, souligne d’emblée son amour des mots, son naturel, son intelligence des caractères. Rien du côté compassé, salonnard qui fait tant de mal à ce répertoire ; la contralto nous comble, là comme dans les Trois Poèmes de Guillaume Lekeu dont un Nocturne mêlant avec art abandon et pudeur.
Reynaldo Hahn trouve enfin la place qui lui revient auprès des meilleurs interprètes : à l'instar de Véronique Gens, Marie Nicole Lemieux s’intéresse à ce splendide mélodiste. Sur les extraordinaires harmonies blanches de l’accompagnement – bravo à D. Blumenthal ! – elle signe d'envoûtantes Offrandes, avant d’explorer avec autant de sensibilité D’une prison, L’Heure exquise et enfin des Fêtes galantes gorgées d’une joie tendre et souriante.
Cinq pages de Charles Koechlin (Menuet, La Pêche, La Lune, L’Hiver, Si tu le veux – admirable de grâce sensuelle), toutes nées au mitan des années 1890, attisent l’envie de mieux connaître la production de mélodies d'un musicien libre et trop oublié.
Suivent le Livre II des Fêtes galantes de Debussy, d’une frissonnante poésie (on n’est pas près d’oublier ce Colloque sentimental ...), et quatre Duparc (L’invitation au voyage, La Vie antérieure, Sérénade florentine, Phidylé) aussi intenses qu’exempts d’emphase. Triomphe mérité et séance de bis (Berceuse du Jocelyn de Godard, Villanelle des Nuits d’été berlioziennes et A Chloris de Hahn) – agrémentée d’une bonne dose de gouaille et d’humour québécois. Du bonheur à l’état pur !
 
 

Gary Hoffman © Bernard Martinez

Après la voix, place au lyrisme, tour à tour tendre ou viril, du violoncelle de Gary Hoffman, qui se produit avec le pianiste David Selig, l’un de ses partenaires de prédilection depuis le temps de feu le Concours Rostropovitch de la Ville de Paris (3). La découverte de partitions inconnues, outre la curiosité qu’elle satisfait, permet de bousculer bien des préjugés. Rien de plus éloigné de l’idée que l’on se fait généralement de Saint-Saëns que sa 1ère Sonate pour violoncelle et piano en ut mineur op. 32. G. Hoffman en assume pleinement l’humeur sombre dans deux mouvements extrêmes dont la secrète inquiétude et l’étrangeté ne sont que mieux mises en valeur par la plénitude heureuse que son archet apporte à l’Andante tranquillo sostenuto médian.  
Réalisation de jeunesse bien rarement donnée, le Nocturne et Scherzo (1882) de Debussy fait entendre une sorte de danse d’elfes dont les interprètes distillent les teintes délicates avec un tact parfait, avant de s’engager dans la seule pièce célèbre du programme : l’inoxydable Elégie de Fauré, servie par un art du chant tout à la fois pudique et ardent.
 
Soupir mi-amusé, mi – faussement – effrayé de Gary Hoffman devant la partition dans laquelle il va s’embarquer avec son complice : la Grande Sonate dramatique « Titus et Bérénice » de Rita Strohl (1865-1941), compositrice d’origine bretonne comme son nom ne le suggère guère. Sacré morceau en effet que cette vaste composition (25’ au moins) en quatre mouvements (dont le 2ème, Scherzo, sur lequel plane l’ombre de Mendelssohn) qui confronte les exécutants à une écriture techniquement difficile - et parfois incommode. Mais il en faut plus pour perturber un virtuose de la trempe de G. Hoffman. Le violoncelliste canadien et D. Selig emportent l’affaire avec une énergie et un sens des contrastes remarquables, avant d’apaiser l’atmosphère par la tendre Sicilienne de Fauré offerte en bis.
Rendez-vous du 7 au 19 juin 2017 pour le 5ème Festival Bru Zane à Paris.
 
Alain Cochard

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(1) http://www.concertclassic.com/article/il-etait-une-fois-le-disque-de-la-semaine 
(2) Rappelons que le pianiste français, passionné de répertoires rares et fidèle de la première heure du Palazzetto, est le soliste du Concerto n° 2 de Marie-Jaëll, sous la direction de Josef Swensen à la tête de l’Orchestre national de Lille, un enregistrement disponible depuis quelque mois au sein du Volume 3 des « Portraits » du PBZ consacré à la pianiste-compositrice alsacienne (Ediciones Singulares - 3CD) 
(3) Concours dont Gary Hoffman a remporté le Grand Prix en 1986

Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, les 4, 6 & 7 juin 2016
 
Photo Marie-Nicole Lemieux © Denis Rouvre
 
 

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