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​ Festival L’Esprit du Piano 2025 (Bordeaux) – Piano en partage – Compte-rendu

 

Généreuse entrée en matière pour le Festival L’Esprit du Piano de Bordeaux dont le volet printanier, consacré à la nouvelle génération, s’ouvrait par un « Piano en partage » ; une journée constituée de trois récitals au théâtre Femina. À la générosité du programme correspondait celle de rendez-vous en entrée libre, voulus par Paul-Arnaud Péjouan, directeur artistique de la manifestation, et rendus possibles grâce au soutien que la Fondation BNP Paribas apporte au festival depuis l’origine. Scolaires et publics empêchés auront ainsi pu profiter du talent de remarquables interprètes.
 
 
« Récital Jukebox »
 
Vincent Mussat (photo) ouvre le ban avec une salle dont la moyenne d’âge ne doit guère dépasser les 14 ou 15 ans. Autant dire une atmosphère à laquelle un interprète classique n’est guère accoutumé. Mais il en faudrait plus pour désarçonner l’artiste toulousain, qui sait s’adapter à l’accueil très... tonique réservé à son « récital jukebox », formule dont il est l’inventeur.
Entrée en matière avec un grand opus romantique allemand, les Kreisleriana, que Vincent Mussat introduit par quelques paroles aussi accessibles qu’évocatrices pour son auditoire. Les mélomanes ont pu découvrir le pianiste grâce à un très bel enregistrement (Scala Music) réunissant Ravel (Gaspard de la nuit, Jeux d’eau) et Dutilleux (la Sonate et le délicieux recueil de pièces radiophoniques Au gré des ondes). Qu’on se garde toutefois de le cataloguer « musique française ». Sa relation avec Schumann n’est pas moins convaincante : on est autant séduit par une conjugaison remarquable d’ardeur et de clarté polyphonique dans les épisodes les plus emportés que par la poésie, la tendresse et la subtilité des coloris qui caractérisent les moments plus apaisés de l’Opus 16 – il n’est pas courant de ressentir à ce point l’image le Clara planant au-dessus de cette musique ... 
 
Changement complet d’atmosphère avec Chopiniata. Vincent Mussat aborde la pièce de Clément Doucet avec tout le peps impertinent qu’elle requiert : une excellente introduction à une seconde partie au cours laquelle il propose d’abord quelques devinettes musicales à ses jeunes auditeurs sur le thème des quatre éléments (avec Ravel, Mozart, Debussy et Schumann), avant de se lancer dans des improvisations sur des chansons célèbres dont les titres sont inscrits sur de petits papiers placés dans une corbeille dans laquelle il pioche au hasard. Un moment aussi inattendu que réjouissant, mené avec autant d’imagination et de sens musical que de naturel dans la relation avec la salle.

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Célia Oneto Bensaid © Stéphane Delavoye
 
 
Eclectisme et cohérence

 
Un peu plus tard dans l’après-midi, c’est au tour de Célia Oneto Bensaid de prendre place sur la scène du Femina pour un récital de caractère plus traditionnel, mais qui n’en apparaît pas moins très éclectique – tout en s’avérant d’une cohérence parfaite.
Le goût de la pianiste pour les partitions méconnues – dans le cadre de ses fréquentes collaborations avec la Cité des Compositrices entre autres (1) – ne l’empêche pas de fréquenter le grand répertoire. Avec bonheur !
D’une noblesse et d’une tenue de ligne exemplaires, le Nocturne en ut mineur op. 48 n° 1 de Chopin ouvre un programme qui se poursuit avec les Variations chromatiques de Bizet, pièce où l’interprète capte l’attention tant par le relief de son jeu que l’aptitude à bâtir une véritable dramaturgie. Retour à Chopin avec le Nocturne op. 27 n°2, d’une finesse dénuée de toute préciosité, et la Valse op. 64 n°2, gorgée d’émouvante nostalgie.
Véritable conteuse que Célia Oneto Bensaid. Sortis, le temps d’un concert, d’un quotidien bien éloigné de la musique dite classique, ses auditeurs sont sous le charme. Le « c’est beau ... », lâché par l’un d’entre eux après les Oiseaux tristes, est le plus merveilleux des compliments ... Moment de prégnant onirisme, suivi d’un autre des Miroirs ravéliens : Une barque sur l’océan, ivre de lumière et de couleurs.
 
L’attention constante au timbre distingue l’interprète. Un paramètre essentiel dans l’approche de la musique de Philip Glass. Envoûtant, Metamorphosis 2 ouvre l’ultime section du programme, toute dédiée au compositeur américain, avant que la pianiste ne termine par les Etudes nos 1, 6, 9 et 10 formidables d’énergie et d’imagination sonore. Inutile de dire que l’on bout d’impatience de voir sortir l’année prochaine l’intégrale des Etudes que Célia Oneto Bensaid a mise en boîte pour le label Mirare.

 

Juliette Journeaux © Stéphane Delavoye
 
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Transcription ? Quintessence plutôt.
 
Révélée par la sortie en 2023 d’un disque autour du thème du Wanderer chez Alpha, Juliette Journaux affirme depuis un profil singulier parmi interprètes de sa génération, en soliste comme dans le lied ou en musique de chambre (domaines où, à la rentrée prochaine, elle nous réserve de grandes surprises avec des pages d’Oskar Posa ... (2)) Pianiste chef de chant, elle se nourrit des répertoires vocaux pour construire, par le biais de transcriptions, le plus souvent de sa main – exercice où elle excelle ! – des programmes particulièrement originaux.
 
À Bordeaux, elle propose un récital intitulé « Errer et rêver », différent de celui de son disque, mais d’un esprit toutefois assez proche, ancré dans le répertoire viennois (à la seule exception d’un Wagner). Avec les trois Klavierstücke D 946 de Schubert, une composition originale toutefois ouvre la soirée. Dans le feu, comme le lyrisme, on est immédiatement frappé par la capacité de l’interprète à dépasser l’instrument pour d’abord penser au chant.
Le maître mot d’une soirée que se poursuit avec le lied Im Frühling de Schubert, puis le premier des Rückert Lieder, « Ich atmet’ einen linden Duft », de Mahler et Waldsonne op. 2 n°4 de Schoenberg. Des transcriptions ? Les pièces proposées par l’interprète se rangent en effet dans cette catégorie, mais c’est plutôt de quintessence qu’il convient de parler tant ses arrangements et son jeu saisissent la vérité première de la musique, sa part la plus secrète. Avec une infinie poésie.
 
Le poète Richard Dehmel a inspiré Schoenberg pour la Nuit transfigurée, mais aussi Zemlinsky dans ses 4 Fantasien op. 9 pour piano. Avec deux extraits (le n° 4 Käferlied suivi du n° 1 Stimme des Abends) de ce cahier, aussi prenant que méconnu, le programme entre définitivement dans le monde du rêve et de la nuit, et se prolonge avec quatre compositions vocales dont l’adaptation par J. Journaux appelle les mêmes remarques que précédemment. Après le Nachtstück D. 672 de Schubert, on retrouve trois pièces présente sur son disque : In der Ferne (ext. du Schwanengesang), Traüme de Wagner et, enfin, n° 3 des Rückert Lieder, Ich bin der Welt abhanden gekommen, qui clôt le programme en emportant l’auditeur dans le « tranquille domaine » du poète ...
Magique !
 
Alain Cochard

 

Bordeaux, Théâtre Femina, 13 mai 2025 //
Festival L’Esprit du piano : www.espritdupiano.fr/
  
 

(1) Célia Oneto Bensaid a récemment pris part au concert anniversaire du Festival Un Temps pour Elles de la Cité des Compositrices aux Bouffes du Nord : www.concertclassic.com/article/les-chants-de-la-terre-concert-anniversaire-du-festival-un-temps-pour-elles-aux-bouffes-du
  
(2) Un compositeur qui figure au programme du concert « Vienne 1900 : Ombre et Lumière » que Juliette Journaux donne avec le baryton Edwin Fardini dans le cadre des Flâneries musicales de Reims le 26 juin prochain // www.concertclassic.com/concert/vienne-1900-ombre-et-lumiere
 
Photo © Stéphane Delavoye

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