La Salle Erard est un lieu tellement chargé d’histoire, tant de géants ont foulé la belle cour pavée du 13 rue du Mail – à commencer par Franz Liszt – et la musique s’y est faite si rare que l’on attend toujours avec une vive impatience le Festival Erard que la violoniste Saskia Lethiec et le pianiste Jérôme Granjon (photo) ont eu la bonne idée de lancer en 2022. La musique du XIXe siècle et des premières décennies du suivant en constitue le matériau, avec chaque année une orientation, un thème, très librement décliné, qui donne au programme sa couleur, son parfum.

Jean Cras vers 1910 © DR

 
Marin et compositeur
 
Intitulée « Voyages, de Franz Liszt à Jean Cras », la 4e édition s’annonce particulièrement alléchante, entre piano solo, musique de chambre, mélodies et œuvres chorales. Une variété rendue possible grâce aux nombreux amis musiciens que Saskia Lethiec et Jérôme Granjon sont parvenus à embarquer dans leurs entreprise. Franz Liszt, premier grand point de référence de la programmation s’imposait évidemment : on se souvient quel virtuose-voyageur infatigable il fut et combien, aussi, son génie sut voyager en se projetant par ses audaces vers l’avenir. Et comment ne pas réjouir de la place accordée à Jean Cras (1879-1932), marin et compositeur qui, sa vie durant conjugua création et grand large. Le travail d’exploration mené par des interprètes et éditeurs découvreurs depuis plusieurs années permet désormais de prendre la vraie mesure d’une figure majeure de la musique de son temps. Il reste encore beaucoup de travail à faire pour que les orchestres, plutôt que de toujours revenir à la certes géniale mais rebattue Mer de Claude Debussy, osent s’aventurer dans le si prenant Journal de bord du compositeur brestois mais ... les choses avancent. Les choix du Festival Erard 2025 en témoignent.

Emmanuel Pélaprat @ DDM 
 
 
Instruments et arrangements rares
 
« Invitation au voyage », « Tzigane ! », « Vaisseau fantôme », « Le Voyage fantastique », « De la Bretagne à la Chine » : les titres des cinq programmes que l’on découvrira du 10 au 12 octobre dessinent clairement les axes d’une programmation qui peut compter sur la présence d’instruments plutôt rares au concert tels le saxophone (Christian Wirth) ou l’harmonium (Emmanuel Pélaprat, le plus grand spécialiste français de l’instrument). On pourra ainsi entendre des extraits du Vaisseau fantôme de Wagner arrangés (par Reinhard) pour violoncelle, harmonium et piano, ou encore la Mort d’Isolde, adaptée par Ritter pour violon, harmonium et piano. Des transcriptions rares à découvrir, à côté de pages bien plus célèbres signées Clara Schumann, Berlioz, Liszt, Brahms ou Ravel. Le Chœur de la Maîtrise de Paris (dir. Edwige Parat) sera de la fête aussi pour un beau programme choral comprenant des pièces de Caplet, Satie ou Poulenc.

 
Aux sources de la facture Erard
 
Si le Festival Erard proprement dit commence le 10 octobre, notez que, dès le 9, la salle accueillera un prélude organisé en partenariat avec La Nouvelle Athènes, association qui œuvre à faire connaître les claviers anciens. Un Erard de 1806 sera au cœur de ce rendez-vous, joué par des élèves du CRR de Paris (18h30), puis par Luca Montebugnoli (20h30). Le lieu idéal pour revenir aux sources de la facture Erard et pour entendre aussi des auteurs méconnus nommés Adam, Jadin, De Montgeroult ou Steibelt.
 
Alain Cochard