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Festival du Vigan - Tirs croisés pianistiques - Compte rendu

Festival du Vigan - Tirs croisés pianistiques - Compte rendu
 
Délicieusement agreste, le Festival du Vigan continue d’investir églises et temples des Cévennes pour y amener la bonne parole musicale. Avant de fêter l’an prochain ses quarante années d’existence. Et entre musique de chambre, orgue, concert choral et un soupçon de jazz, le piano y est roi. Rien d’étonnant puisque le fondateur et directeur du Festival, Christian Debrus, fin mozartien et haydnien lui-même, continue de guetter tout ce que l’arène internationale apporte de nouveau et quelquefois d’exceptionnel : c’est ainsi que Miroslav Kultyschev y a fait des apparitions inoubliables avant d’émerveiller le Festival d’Auvers-sur-Oise en juin dernier.
 
Contraste donc, cette année avec deux personnalités aussi dissemblables, deux styles aussi opposés que ceux du russe Roustem Saïtkoulov et de la géorgienne Khatia Buniatishvili. Un grand soliste, une star, avec toutes les queues de comète que cela implique. Saïtkoulov, que, il faut l’avouer, on a connu plus inspiré, a montré dans un récital Chopin, la sûreté de son toucher, la force de sa virtuosité : belle 1ère Ballade, très brillant 2e Scherzo surtout, avant un Andante spianato et Grande Polonaise manquant un peu de panache. Peu d’émotion mais une élégance de bon aloi. Puis, accompagné de Claire Oppert et de sa fille Clara Saïtkoulov, il a en deuxième partie, troqué sa froideur pour une légèreté tout en attention à l’égard de ses partenaires, dans le fruité et poétique Trio Dumky de Dvorak.
 
Changement de ton radical avec la flamboyante jeune star Khatia Buniatishvili, mondialement réclamée et que le public attendait avec impatience dans la petite église Saint-Martial, si loin de ses habituelles aires de jeu, de New York à Tokyo et Paris. Et c’est encore à une soirée hors normes que l’on a eu droit, la pianiste s’engageant dans ses visions avec une exaltation suprêmement maîtrisée. Des grands romantiques qui l’ont fait connaître, Khatia Buniatishvili passe ces derniers temps à un autre répertoire, celui de Ravel, même dans ses incursions du côté de Moussorgski avec les Tableaux d’une Exposition. On a eu plusieurs fois l’occasion d’y juger sa vision poussée à l’extrême, les pauses rêveuses devenant quasi transparences, les moments de vigueur s’y faisant frénésie sonore et rythmique écrasante. Le public, suspendu, s’est laissé emporté par ce déluge.
 
Avec Gaspard de la Nuit, dans lequel elle a fortement progressé depuis son exécution à Pleyel ce printemps, c’est un Ravel encore plus extrême que ce que la noire imagination d’Aloysius Bertrand lui avait soufflé, Ondine enfiévrée,  silhouette d’un Scarbo et Gibet dignes de Jacques Callot. De la Valse enfin, dont certains contestent son interprétation frénétique, on peut à coup sûr dire qu’elle fait de cette course à l’abîme un délire de mort qui laisse pantois. Un piano à nul autre pareil, qui bouscule et transcende les habitudes.
 
Jacqueline Thuilleux
 
Festival du Vigan, Valleraugue le 8 août ; Saint-Martial le 10 août 2014. Derniers concerts, Le Vigan, les 17 et 19 août 2014 / www.festivalduvigan.fr

Photo Katia Buniatishvili © Esther Haase

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