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Festival Bach en Combrailles 2024 – Un riche double anniversaire
L’édition 2024 de Bach en Combrailles, 26ème du nom, célèbre les 25 ans révolus du Festival et les 20 ans de l’inauguration de l’orgue Delhumeau de l’église Saint-Michel de Pontaumur (1), copie de l’orgue Bach d’Arnstadt (Wender, 1703). Superbement relevé pour l’édition 2023 par Denis Marconnet et Jean-Marie Tricoteaux, l’orgue se devait d’être au cœur de la programmation : du concert d’ouverture par Jörg Reddin, actuel titulaire d’Arnstadt, à celui de clôture et sa création mondiale.
Après le Café-Bach du matin (série inaugurée avec le documentaire Chercheurs d’orgues de Pascale Bouhénic et Bernard Foccroulle, disponible sur Arte jusqu'au 3 septembre 2024) (2), le rythme du Festival vaut chaque année aux festivaliers une audition d’orgue quotidienne, à midi (entrée libre), conviant de beaux noms de la planète orgue : Yves Rechsteiner (professeur au CNSMD de Lyon, directeur artistique de Toulouse les Orgues), Nicolas Bucher (titulaire à Saint-Gervais, Paris, l’orgue des Couperin, et directeur du Centre de Musique baroque de Versailles) : Bach et Mendelssohn – ce dernier sonne admirablement sur un instrument d’une telle esthétique, Alma Bettencourt (malheureusement souffrante et remplacée au pied levé par le même Nicolas Bucher), Bernard Foccroulle et Benjamin Righetti (photo, titulaire de l’orgue de Saint-François et professeur à la Haute École de Musique de Lausanne).
« Jeunes Talents » et ensemble confirmés
Certains concerts sont estampillés « Jeunes Talents » sans qu’il faille naturellement s’y tromper, tous étant d’ores et déjà des musiciens accomplis menant une jeune mais brillante carrière. Ainsi Monde illusoire, programme du lumineux Ensemble Marilou donné dans le cadre enchanteur du prieuré de Saint-Hilaire-la-Croix. De même qu’Yves Rechsteiner proposait le mardi des transcriptions pour orgue puisant dans les Sonates et Partitas pour violon seul de Bach, de même le quatuor offrit-il, en sens inverse, la 3e Sonate en trio pour orgue restituée en format chambriste, chacune des musiciennes témoignant au fil du programme d’une double compétence : Gabrielle Rubio, traverso et théorbe, Agnès Boissonnot-Guilbault (3), basse et dessus de viole, Hélène Richaud, violoncelle et mezzo-soprano, Cécile Chartrain, hautbois et clavecin. Chorals pour orgue et airs (Cantates, Passion selon saint Jean) complétaient ce concert chaleureux et dynamiquement varié, couronné de la Sonate en trio en sol majeur Wq 144 de CPE Bach arrangée pour la formation.
C’est à Notre-Dame du Marthuret de Riom, au-delà des Combrailles stricto sensu, que cette journée du mitan du Festival se referma, dans une acoustique diversement favorable selon l’emplacement des auditeurs, a fortiori pour des clavecins accompagnés de cordes, notamment graves, dominant quelque peu. Olivier Fortin et son Ensemble Masques, avec le Néerlandais Emmanuel Frankenberg au second clavecin solo, offrirent une soirée festive introduite et refermée par Bach : Concertos pour deux clavecins BWV 1062 et 1060 – le second, dont l’accompagnement (qui ne serait pas de la plume de Bach) est plus discret, permettant de mieux savourer la folle et contagieuse énergie des solistes. Outre des arrangements maison à deux clavecins de pages de Lully d’après d’Anglebert et consorts, l’un des moments les plus goûtés du public fut indéniablement le très engageant Concerto pour flûte à bec et viole de gambe TWV 52:a1 de Telemann, authentique splendeur d’un compositeur trop peu sollicité mais que l’on allait retrouver dès le lendemain. Olivier Fortin et Les Masques lui ont consacré un album (ouvertures, concerto) : Le Théâtre musical de Telemann (Alpha, 2016).
Quand Bach laisse la place à Telemann
La journée du vendredi fut singulière : pas une note du Cantor !, bien qu’introduite par une causerie de Jean-Paul Combet, directeur de l’Académie Bach d’Arques-la-Bataille, consacrée aux orgues de Bach : ceux qu’il joua, ceux dont il rêva. Puis Bernard Foccroulle à l’orgue de Pontaumur et Marie Rouquié (violon solo du Banquet céleste) au violon baroque firent entendre la délicieuse Canzona Seconda Detta la Bernardina du Primo Libro delle Canzoni de Frescobaldi, deux imposantes Toccate de Georg Muffat, belle occasion de détailler la palette de l’orgue, et son unique et radieuse Sonate pour violon et basse continue. Merveilleux temps suspendu que cette généreuse audition.
Pas de Bach non plus lors du second concert de la journée, mais un florilège empruntant aux deux séries des Quatuors Parisiens de son ami Telemann, on y revient, la première plus italianisante (1730), l’autre plus française (1738). Également estampillé « Jeunes Talents », ce concert de l’Ensemble Baumhaus, du nom d’un édifice érigé sur le port de Hambourg ayant tenu lieu pendant deux cents ans de bourse, d’auberge et de salle de concert fréquentée par Telemann, fut en l’église de La Goutelle un pur moment de communion chambriste placée sous le signe du plaisir intense du musizieren – soit, pêle-mêle, partage, convivialité, virtuosité, poésie, joie de vivre et de jouer. Les quatre musiciens y brillèrent de mille feux dans des œuvres choisies avec un souci de renouvellement constant pour un public conquis : Nour Trottier au traverso, Sophie Pieraggi au violon, Lukas Schneider, particulièrement saisissant, à la viole de gambe, Baptiste Guittet au clavecin. Une merveille. Bach n’avait toutefois pas dit son dernier mot, puisque la fête en plein air proposée au Parc Nature de Pontaumur, soirée anniversaire en partenariat avec le BarKibraille, en l’occurrence BachKiBraille, permit d’entendre le Gaspard Baradel Quartet, formation jazz composée de Gaspard Baradel (saxophone), Antoine Bacherot (piano) Cyril Billot (contrebasse) et Josselin Hazard (batterie), improviser brillamment sur maints thèmes célèbres du Cantor : de l’Aria de la Suite BWV 1068 à « Jésus que ma joie demeure » de la Cantate BWV 147 ou l’air Bist du bei mir naguère attribué à Bach, en fait de son exact contemporain Gottfried Heinrich Stölzel (1690-1749).
L’ultime journée fut dense : cinq rendez-vous ! Au Café-Bach matinal consacré à l’œuvre donnée en création le soir même fit suite l’audition de Benjamin Righetti : Buxtehude, Böhm, Haendel (l’un des tubes de l’interprète, vrai défi en termes d’endurance : air de Ruggiero Sta nell’ircana pietrosa tana d’Alcina, jadis magnifié par Teresa Berganza), plus une Sonate en trio de Bach… à tirer au dé (sous-entendu : les six sont à disposition, autre vrai défi). La main innocente de Nicolas Bucher tira la troisième, tel un pont à rebours vers le concert de l’Ensemble Marilou… puis la soirée Bach Jazz : « Jésus que ma joie demeure » en bis, enchaînant sur une étrange modulation puis un thème venant de loin… Happy birthday, repris en chœur avec ardeur par le public : celui de Denis Marconnet, mais aussi d’Yves Rechsteiner et de Marie-Claire Alain, marraine de l’orgue de Pontaumur qu’elle inaugura en 2004.
Grandeur et intensité lors du concert de Bromont-Lamothe. Emmené par le violoniste Matthieu Camilleri, admiré en 2023 lors d’un récital soliste superlatif (4), Les Récréations présentaient leur propre mise en œuvre pour cordes de L’Art de la Fugue – ici à cinq musiciens, au violoncelle s’ajoutant un violoncelle piccolo, requis selon la tessiture des voix –, confondante de projection formelle, d’élévation et d’expressivité : un monument d’intrication musicale et architecturale revivifié par chaque restitution instrumentale tout en ouvrant un champ des possibles quasi illimité. Tout autre chose avec le dernier récital « Jeune Talent », en l’église de Landogne, celui de la claveciniste Lucie Chabard : l’art de la variation, de Sweelinck à Bach.
Une seconde « Cantate des Combrailles »
Le concert de clôture, par Le Banquet Céleste dont les solistes s’étaient produits le mardi à Villossanges, revêtait cette année une importance exceptionnelle pour le Festival et ses missions. À l’instar de l’édition 2019 des 20 ans, Philippe Hersant ayant reçu commande d’une « cantate luthérienne » sur Nun komm, der Heiden Heiland, le Festival a voulu célébrer le double anniversaire de 2024 avec une nouvelle commande pour voix, orgue et instruments anciens. Dépassant tout cadre confessionnel, Bernard Foccroulle, présent toute la semaine à Pontaumur, a conçu une cantate non pas liturgique mais beaucoup plus largement et poétiquement humaniste : Laudato si’, premiers mots, après l’exorde Altissimu, onnipotente, bon Signore […], du Laudes Creaturarum ou Cantique du soleil de François d’Assise, lequel passe pour le premier texte « italien » (en dialecte ombrien) – le lien avec le Laudato si’ du pape François prolongeant la réflexion sur l’état critique de « sœur Terre ».
En deux parties introduites l’une par le Prélude, l’autre par la Triple fugue en mi bémol BWV 552 : Nicolas Bucher à l’orgue, ce concert associait les Cantates BWV 85 et 115 d’un Bach installé depuis peu à Leipzig (1724-1725), avec donc en fin de première partie la création de Bernard Foccroulle. Double atmosphère, festive, solaire et positivement solennelle sur le texte de saint François – ponctué par une ritournelle mémorable sur Laudato si’, mi Signore en forme de triple fanfare ascendante, également chantée à cinq reprises par le public, auquel le chef Simon Proust l’avait chaleureusement fait répéter ; plus intimiste sur les textes intermédiaires, empruntés dans leur traduction française validée par l’auteur au poète libano-syrien Adonis (Ali Ahmed Saïd). Émerveillement absolu devant l’inventivité du compositeur, naturellement homme de théâtre accompli, en l’occurrence « sacré », dans l’utilisation de la même formation instrumentale que Bach (cordes, traverso, deux hautbois, basson et orgue), sonnant tour à tour de manière grandiose, libre, lyrique (formidable partie de flûte) ou subtilement intériorisée. Quatre parties vocales, comme chez Bach, tenant aussi lieu de chœur, splendide d’équilibre : la soprano Céline Scheen, l’alto William Shelton, le ténor Thomas Hobbs, la basse Benoît Arnould, tous en tribune pour Laudato si’, la partie d’orgue, primordiale et hautement dynamique sans être à proprement parler concertante, s’intégrant prodigieusement à l’ensemble, dimension fusionnelle renforcée par la proximité physique entre orgue et orchestre – une situation rarissime propre à Pontaumur.
Dans l’attente de la nomination d’un nouveau directeur artistique
Cette édition 2024 marquait aussi le départ de Vincent Morel, directeur artistique depuis huit ans, lequel préside depuis l’été dernier aux destinées de RESO Nièvre, établissement public de coopération culturelle unique en France, créé en 2003 et dont la mission est de « proposer aux habitants de la Nièvre une offre d’enseignement et de pratiques artistiques de qualité et de proximité, participant à l’attractivité des territoires. » Quelque 90 agents, soit 60 équivalents temps plein, des milliers de bénéficiaires de tous âges sur l’ensemble du département, un budget de plus de trois millions d’euros… Étonnamment, l’exemple de cette structure pionnière couronnée de succès n’a pas encore incité d’autres conseils généraux à s’engager dans un même et large partage de la culture.
Si le successeur de Vincent Morel – bien décidé, avec à son actif la commande de deux « Cantates des Combrailles », à ne pas perdre le contact avec la création musicale – n’est pas encore désigné, des pistes sont d’ores et déjà lancées pour la programmation 2025, cependant que le Festival est désormais placé sous la présidence d’Antoine Thiallier, fils du fondateur, en 1998, de l’Association « Jean-Sébastien Bach en Combrailles », créateur du Festival et initiateur de la construction de l’orgue : Jean-Marc Thiallier, tragiquement disparu il y a également vingt ans exactement, auquel un hommage émouvant fut rendu à l’issue du concert de clôture. Rendez-vous l’année prochaine, dans une parfaite continuité aussi bien de format et d’esprit que de perpétuel et vital renouvellement.
Michel Roubinet
Festival Bach en Combrailles (Puy-de-Dôme), concerts des 8, 9, & 10 août 2024
www.bachencombrailles.com/xxvie-festival-bach-en-combrailles/programmation-2024/
www.concertclassic.com/article/festival-bach-en-combrailles-un-pont-musical-entre-thuringe-et-auvergne-compte-rendu
(2) Chercheurs d’orgues
www.arte.tv/fr/videos/101407-000-A/chercheurs-d-orgues/
(3) Rappelons qu'Agnès Boissonnot-Guilbault a signé il y a quelques mois avec Nora Darganzali un premier disque aussi original que réussi occupé par des arrangements pour viole et clavecin des Suites françaises nos 1, 2 & 5 de Bach (Bathos Records) // www.concertclassic.com/article/bach-par-agnes-boissonnot-guilbault-et-nora-dargazanli-une-convaincante-appropriation-compte
(4) www.concertclassic.com/article/festival-bach-en-combrailles-2023-vous-avez-dit-relevage-compte-rendu
Photo © Bach en Combrailles – Antoine Thiallier
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