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Fabien Gabel dirige l’Orchestre de Paris – Rareté, opulence, onirisme – Compte-rendu

On croit rêver, mais c’est la première fois que l’ouvrage prend place dans un programme de l’Orchestre de Paris ... Istar de Vincent d’Indy compte pourtant parmi les grandes réalisations symphoniques françaises de la fin du siècle romantique (de 1896, la pièce est dédiée à Eugène Ysaÿe, son créateur à Bruxelles l’année suivante) ; un exemple de variations symphoniques à reculons, ne laissant apparaître qu’in fine le thème qui les inspire. Dès l’attaque, souple et ferme, on sent Fabien Gabel(photo) dans son élément, autant maître des coloris que de la ligne d’une partition dont il conduit le déroulement avec une évidence organique.
Measha Brueggergosman © measha.com

« Rêves d’Orient » : le titre du programme, inscrit dans le cadre du 6ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris, s’illustre à merveille dans la Shéhérazade de Ravel que l’on découvre ensuite, avec la soprano Measha Brueggergosman. Pas une voix « accompagnée par » un orchestre : on est d’emblée frappé par l’osmose, la relation fusionnelle qui s’établit entre une chanteuse au timbre plutôt mat – ce qui n’a rien d’un reproche – et un orchestre dont le chef soigne la foisonnante poésie avec un art consommé, sans jamais rien surexposer, bien aidé par la beauté de l’harmonie dont il dispose. Résultat puissamment onirique et séduisant. Il ne l’est pas moins dans la 2ème Suite de Padmâvâti d’Albert Roussel où le mystère le dispute à la sensualité et à la vitalité rythmique.

« Légende dansée » de Claude Debussy, Khamma fut orchestrée par Charles Koechlin en 1913 à la demande du compositeur et ne connut qu’une création posthume sous la direction de Pierné en 1924.(1) Rarissime dans les programmes, la pièce n’a certes rien de très « public » mais ... quelle merveille ! Sombre, on ne la savoure que mieux quand les interprètes savent, c’est le cas ici, la restituer comme recouverte d’un voile de mystère, avec, sous-jacent, un foisonnement des détails d’une précision et d’une intensité remarquables.

Grand moment enfin pour conclure avec la 2ème Suite d’Antoine et Cléopâtre de Florent Schmitt, tirée d’une musique de scène écrite en 1920 pour une représentation de la pièce éponyme de Shakespeare (traduite par André Gide). Destinée à un effectif très imposant, la musique est servie par un chef qui – la remarque vaut pour l’ensemble du concert – sait jouer le jeu d’une partition opulente, dans le mystérieux comme dans l’orgiaque, sans jamais céder à quelque forme de narcissisme sonore. Musique somptueuse, imagée, enivrante, que Fabien Gabel tenait à voir figurer dans le programme. On lui en sait gré ! Il serait temps que, à l’orchestre comme en musique de chambre ou au clavier (les pianistes ont de quoi faire, ne serait-ce qu’avec Ombres), l’un des très grands maîtres français du XXe siècle soit enfin reconnu à sa juste valeur.

Temps aussi que des programmes français découvreurs de ce genre deviennent plus naturels et spontanés de la part de nos phalanges. Bref, un peu moins de masochiste dédain envers les trésors de notre répertoire symphonique ...

Alain Cochard
 

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(1) Et c’est sur la musique d’Istar qu’Yvette Chauviré fut nommé Etoile de l’Opéra de Paris le 31 décembre 1941

 Paris, Philharmonie, Grande Salle, 9 juin 2018

Photo © Nikolai Schukoff

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