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Exposition « Arnold Schönberg. Peindre l’âme » au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme – Âpre exutoire – Compte-rendu

« De Beethoven, écrivait Arnold Schönberg dans un article de 1931, j’ai appris l’art de ne pas craindre d’être long ou d'être au contraire impitoyablement court ». L’auteur du Pierrot lunaire aurait pu ajouter : l’art d’être impitoyable tout-court, d’agir sans concession ni accommodement, à l’instar du Titan de Bonn - que la Philharmonie de Paris célèbre jusqu’en janvier prochaine avec « Ludwig van, le mythe Beethoven » (1).
Il y a en effet plus d’un point commun entre ces deux caractères rugueux … C’est l’une des impressions qu’on retire de la très riche exposition (conçue par Jean-Louis Andral et Fanny Schulmann) que le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme consacre à l’auteur de Moïse et Aaron, « Peindre l’âme ». Titre à prendre à la lettre : oui, Schönberg a peint ! Entre 1908 et 1911 essentiellement (même s’il a dessiné toute sa vie, son catalogue comportant plus de 300 œuvres). S’il n’est pas rare qu’un peintre soit musicien (Ingres et son violon, Paul Klee et son alto), il est plus exceptionnel qu’un compositeur peigne et soit exposé : encore une singularité de Schönberg ! Sa production se partage entre tableaux figuratifs, pour les portraits de ses proches et de lui-même, et tableaux à la limite de l’abstraction, des « regards » — juste deux yeux fixes, écarquillés, pupille sombre, sans cils, et qui  dévorent le reste du visage.  Placez-vous en face : un œil noir te regarde …
Arnold Schönberg
Regard bleu, 1910

Huile sur carton, 20 x 23 cm
© Vienne, Centre Arnold Schönberg © Belmont Music Publishers/ Paris, ADAGP, 2016
  
Peindre, pour Schönberg, n’a rien en effet d’un délassement frivole ou d’un aimable dérivatif. C’est l’âpre exutoire à une grave crise personnelle, à la fois dans sa vie de couple avec sa femme Mathilde, et dans sa vie de musicien rejeté par la critique et le public viennois. Cette nécessité impérieuse, ce feu intérieur confèrent à ses tableaux un accent violent, sauvage, sur lequel le peintre russe Vassily Kandinsky, installé en Allemagne depuis 1896, ne s’est pas mépris. L’auteur du Spirituel dans l’art inclut généreusement quatre tableaux de Schönberg dans l’exposition collective du Blaue Reiter à Munich, l’hiver 1911. On y perçoit une parenté secrète avec les styles expressionnistes d’Egon Schiele ou d’Oskar Kokoschka, de Van Gogh ou du jeune Richard Gerstl, l’artiste qui, avant de se suicider, a donné au musicien sa formation empirique de peintre.
Puis Schönberg retourne à ses partitions, parmi les plus inspirées et les plus libres — Six petites pièces pour piano op.19 en 1911, Pierrot lunaire op. 21 en 1912. La peinture l’a-t-elle apaisé ? « J’admets aujourd’hui que je ne peux pas être compris, et je me contente d’être respecté », consent-il.
 
En 1921, alors qu’il est en vacances avec sa famille dans les environs de Salzbourg, une manifestation anti-sémite l’oblige à quitter les lieux. L’incident entraîne Schönberg à resserrer ses liens d’origine avec le judaïsme. Le MahJ expose des documents émouvants : l’acte de retour au judaïsme, signé à Paris en 1933, après le départ de Berlin où les nazis l’ont destitué de son poste d’enseignant (Marc Chagall et Dimitri Marianoff, le beau-fils d’Albert Einstein, sont ses témoins) ; les esquisses de Kol nidre, du Survivant de Varsovie, des Psaumes modernes. 
De tous les autoportraits généreusement prêtés par l’Arnold Schönberg Center de Vienne, que préside Nuria Schönberg-Nono, la fille cadette du compositeur, le plus émouvant est cet Autoportrait de dos, de 1911, où le musicien s’est représenté marchant seul, avec le soleil derrière lui qui projette son ombre de côté, les mains résolument serrées dans le dos (il semble peu disposé à les tendre !), tassé mais trapu — celui qui l’arrêtera ou le détournera de son chemin n’est pas né …
 
Cette toile, que Schönberg conservait dans son bureau à Brentwood Park, est comme la prophétie de ce constat formulé trente-six ans plus tard, en 1947, dans un discours adressé à l’American Academy of Arts and Letters de New-York : « Je n’ai peut-être qu’un seul mérite, je n’ai jamais renoncé ».
 
Gilles Macassar
logo signature article
« Arnold Schönberg. Peindre l’âme »,
par Jean-Louis Andral (directeur du musée Picasso d'Antibes) et Fanny Schulmann,
Paris, Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MahJ), 75003, jusqu’au 29 janvier 2017/ www.mahj.org
 (Catalogue, co-édition MahJ/Flammarion, 208 p, 32 €)
 
 
Photo : Richard Fisch, Arnold Schönberg posant devant ses peintures Los Angeles, 1948 © Vienne, Centre Arnold Schönberg
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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