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Elisso Virsaladze au festival Pianopolis (Angers) 2025 – Intact émerveillement – Compte-rendu

 
Le succès ne s'est guère fait attendre pour Pianopolis. Lancé en 2023 par le musicologue Nicolas Dufetel, le festival angevin a vu arriver Alexandre Kantorow à sa direction artistique dès 2024. La manifestation n’en est qu’à sa troisième édition mais, d’évidence, elle a trouvé sa place (avec un vrai "village" à elle aux Greniers Saint-Jean) ... et son public !
 
Une acoustique rêvée
 
S’il est bien connu des férus de piano, le nom d’Elisso Virsaladze – ce n’est pas faire injure à cette immense musicienne que de le noter – l’est bien moins pour de simples mélomanes, d’autant que ses apparitions en France son rarissimes.
Rien de tel qu’un pareil cas de figure pour mesurer la confiance qu’inspire un festival : 800 personnes avaient fait le déplacement le 30 mai pour entendre l’artiste géorgienne (aujourd’hui établie à Munich) aux Greniers Saint-Jean. Un lieu chargé d’histoire où naquirent au mitan des années 1860 les Concert populaires d’Angers, à l’initiative de Charles Hetzel – un émule de Jules Pasdeloup – et où se tint en 1971 le premier concert de l’ONPL. Autant dire un cadre acoustiquement rêvé pour savourer un art dont l’intelligence et la subtilité se sont, d’un bout à l’autre de la soirée, illustrées dans des pages de Chopin.

 

© Ville d’Angers - Jéremy Fiori

 
Caresser la note
 
Laisser la musique naître ... Rien de forcé dans les accords des mesures initiales de la Polonaise-Fantaisie, plutôt l’ouverture – magique – d’un champ poétique qu’Elisso Virsaladze entreprend d’explorer avec une palette sonore d’un incroyable raffinement. Plus que sur l’accentuation des contrastes dynamiques, elle mise sur les nuances du timbre. Art du toucher confondant de science ... Caresser la note, ne jamais la heurter : fidèle à l’esprit de Chopin, l’interprète laisse la musique s’épanouir avec une vigilance amoureuse, attentive comme au premier jour à sa beauté – et sa modernité. Le public est proprement suspendu à son chant ...

 
Majestueusement poète
 
On n’est pas moins convaincu par la Sonate n° 3. À d’autres l’excès de volontarisme avec lequel l’Allegro maestoso est parfois attaqué. C’est majestueusement poète et lyrique que la pianiste conçoit un mouvement qui n’est plus que belcantisme sublimé, évidence – quelle lisibilité, quel foisonnement du tissu musical. Que de secrets fait-elle entendre dans la partie centrale du Scherzo, avant un Largo, plein de nostalgie –  manière de bouleversant Rückblick, pour utiliser un terme brahmsien –  auquel la présence et l’expressivité de la main gauche confèrent un caractère un peu funèbre. Une préparation idéale au finale, que Virsaladze conçoit de façon dramatique et grimaçante, loin des idées simples, de la bonne santé hors de propos, dont cet épisode fait parfois les frais.

 

© Ville d’Angers - Jéremy Fiori

 
Des miniatures-mondes
 
Après deux vastes opus en première partie, la seconde est occupée par des miniatures. Nocturnes, mazurkas, valses : des pièces brèves où, à chaque fois, par la justesse de la caractérisation, un véritable monde s’épanouit. Toute la force dramatique du Nocturne op. 27 n° 1 se libère dans une conception d’une unité et d’une fluidité remarquables, tandis que le n° 2 se déploie, impalpable et pudique, d’une incroyable délicatesse dans l’ornementation. Suit un bouquet de Mazurkas (op. 30 n° 1, op. 33 nos 1 et 2, op. 59 nos 1-3), témoin d’un propos racé, comme d’une lecture incroyablement fouillée qui n’oublie jamais combien la leçon de Bach compta pour Chopin.    
Elisso Virsaladze a passé les quatre fois vingt ans, mais son approche de la musique n’a rien perdu de sa fraîcheur, de sa capacité d’émerveillement. Quelle classe, quelle humaine simplicité dans la Valse « de l’Adieu », quel chic et quelle jeunesse dans la Grande Valse op. 42, véritable poème dansé sous ses mains inspirées.
Chopin jusqu’au bout : la Mazurka op. 68 n° 2, entêtante à souhait, et, la Valse op. 34 n°3, explosion de jeunesse pétrie de style brillant, ajoutent au bonheur d’un auditoire comblé.

 
Alain Cochard
 

Angers, Greniers Saint-Jean, 30 mai 2025

 
Photo © Ville d’Angers - Jéremy Fiori

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