Longue queue de cheval, lunettes rondes, visage d'enfant, robe de velours vert, silhouette solide : Ekaterina Bonyushkina passerait facilement pour une de ces élèves fabriquées à la chaîne par l'efficace industrie russe du piano. Il suffit cependant de quelques mesures de l'Opus 119 de Brahms pour comprendre que l'église de Verbier accueille une artiste d'une grande maturité, malgré ses 22 ans, et non un de ces interchangeables prodiges à doigts.
 
Jeunesse et hauteur de vue
 
Les doigts sont bien là, pas d'inquiétude, infaillibles, capables de dévaler à toute allure les très jazzy et redoutables Variations op. 41 de Kapoustine. Mais l’essentiel se perçoit ailleurs : dans la motricité de la main gauche, dans la fermeté de l'architecture, dans la lisibilité des lignes, dans la tenue du discours. On peut certes imaginer un peu plus d'abandon dans Brahms ou de subjectivité lyrique dans le finale de la Fantaisie de Schumann mais on reste stupéfait par une telle hauteur de vue, une telle maîtrise, une telle concentration de la part d'une si jeune pianiste.

© Sofia Lambrou

 
Formée auprès de Nelson Goerner
 
Les Variations Eroica s'imposent ainsi comme un modèle d'intelligence et de raffinement dans la distribution des nuances et des couleurs. Ce Beethoven qui met les pieds dans le plat de la bienséance et n'hésite pas à malmener un thème joliment banal a décidément fière allure, sûr de lui, conquérant, et le sourire en coin malgré la mâchoire crispée. On imagine sans peine que l'enseignement, à la Haute École de Musique de Genève, de Nelson Goerner, dont on connaît le peu de cas pour l'esbroufe, n'a pu qu'affirmer et peaufiner les qualités hors du commun de cette pianiste née et formée à Moscou.
En inscrivant une telle artiste, qu'il faudra évidemment suivre de très près, dans le cadre de sa 32e édition, le Verbier Festival confirme sa vocation de découvreur de talents et pas seulement de rendez-vous huppé des vedettes de renommée internationale.
 
Philippe Venturini