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DVD : Archets magiques

L’image est l’arme la plus efficace pour infirmer les légendes ; lorsque que l’on voit l’énergie foudroyante, la rage presque que déploie Pierre Fournier dans les dernières pages de la Sonate de Kodaly, on se demande qui a pu lui inventer cette réputation de jeu apollinien, de froideur relative. L’artiste semble au contraire totalement absorbé par la musique et chaque trait de son archet est porteur d’un lyrisme dévastateur. On trouvera rarement une Sonate de Debussy aussi parlée, à angle vif et en apesanteurs transparentes juste quant il faut. Cette manière s’échappe de l’école française et on n’en trouve guère d’équivalent que chez les russes, Shakovskaya ou Shafran. Un Francoeur chantourné, hors d’âge et prenant même au delà des élégances un lyrisme contemporain dit assez quel revisiteur fut Fournier, chantant autant qu’un Tortelier auquel on l’oppose par systématisme pour une Troisième Suite de Bach anthologique, ou nous conviant à un voyage poétique médusant dans le trop rare Adagio et Allegro de Schumann. Bon piano de Guy Bourassa, mais comme on aurait préféré trouver Fournier en compagnie de son fils Jean Fonda, son accompagnateur le plus naturel.

Avec Nelsova, on touche aux frontières de l’oubli. Heureusement son éditeur phonographique, Decca, nous a rendu voici peu l’intégralité de son legs en un fort coffret. Ces archives de la Radio canadienne sont infiniment précieuses. L’artiste est souveraine, son archet distille les nuances les plus diverses, les phrasés d’une tenue expressive classique médusent par leur naturel. Au piano deux pointures : pour le concert qui offre la Sonate en la majeur de Boccherini, la Seconde de Martinu et la Troisième de Beethoven John Newmark, pour le bonus (Adagio de la Sonate de Chopin), Grant Johannesen, le plus français des pianistes américain, le disciple de Robert Casadesus avec lequel Nelsova forma un duo tout au long des années soixante-dix. Mais vous irez d’abord au Concerto de Kabalevsky pour découvrir le jeu enflammé de celle qu’on surnomma avec raison la passionaria du violoncelle.

Jean-Charles Hoffelé

Pierre Fournier/ VAI 4356

Zara Nelsova/ VAI 4370

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