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Du Livre de Notre-Dame aux Vêpres de Philippe Hersant - La cathédrale de Paris, haut lieu de création musicale

Grande et tangible émotion, le 22 octobre, en la cathédrale de Paris lors de la création du Livre de Notre-Dame, projet musical d'une ampleur et d'une originalité d'intention peu communes. L'occasion est assurément rare d'assister un même soir à la création de pièces de pas moins de quinze compositeurs (presque tous présents), en l'occurrence destinées à un chœur d'enfants avec accompagnement d'orgue. Ces quinze motets, dont trois constituent une messe brève au cœur du programme, résultent d'une commande de Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris à l'occasion du jubilé de la cathédrale, avec le soutien de la Fondation pour les 850 ans de Notre-Dame de Paris, de l'Association Maurice de Sully et de Musique Nouvelle en Liberté.

Deux années furent nécessaires pour mener à bien le projet, certaines pièces semblant n'avoir été livrées qu'à deux ou trois mois de la création : on imagine le travail monumental et la tension croissante que la préparation d'une telle soirée a dû représenter pour le Chœur d'enfants de la Maîtrise Notre-Dame de Paris et son chef : Émilie Fleury, merveilleuse de ductilité, d'efficacité et de discrétion dans un dialogue sans faille avec ses jeunes chanteurs. Si l'objectif était d'enrichir le répertoire pour chœurs d'enfants de pièces accessibles, le résultat relève en fait de la gageure ! Il va de soi que tous les chœurs d'enfants n'ont ni la formation musicale et ni le niveau technique dont celui de Notre-Dame fit la sobre mais édifiante démonstration. De même pour les parties d'orgue, supposées elles aussi accessibles et, pour nombre d'entre elles, d'une difficulté redoutable. Au point de nécessiter pour la création la présence alternée de deux organistes de talent et de renom : Yves Castagnet et Denis Comtet.

Une grande liberté ayant été laissée à chaque compositeur, styles, langues, formes et dispositions vocales les plus diverses s'enchaînèrent, le plus souvent avec chœur complet – à l'instar de la pièce d'ouverture signée Jean-Baptiste Robin (alors aux États-Unis), En clara vox, bien que souvent sous diverses configurations et répartitions, plus rarement pour un chœur restreint, ainsi la deuxième pièce, Une aube en clair-obscur de Bruno Ducol. Leur firent suite des pages signées Jean-Pierre Leguay (Du fond de l'abîme), Pierre-Adrien Charpy (Voici le sacre du Royaume) et Caroline Marçot (Alleluia, Lapis revolutus est) ; puis la Messe brève : Kyrie d'Édith Canat de Chizy (qui assistait ce même soir à la création d'une autre de ses œuvres à Lille) – avec une brève intervention soliste (soprano fille) dans le Christe – et Sanctus de Thierry Escaich (ces deux pièces pour chœur resserré, bien que différemment) et Agnus Dei de Nicolas Bacri. La seconde partie (sans rupture) de ce Livre marial fit entendre des pages signées Vincent Bouchot (Tantum ergo Sacramentum), Éric Lebrun (Aujourd'hui le Créateur des jours), Benoît Menut (Un grand vent s'est levé), Vincent Paulet (De fructu operum), Michèle Reverdy (Femme revêtue de soleil, avec quelques échos solistes récurrents et un poétique solo d'orgue au centre de la pièce), Thomas Lacôte (Sancta et immaculata) et enfin Yves Castagnet (Ô Notre-Dame du soir).

Si la diversité était naturellement au rendez-vous, le sentiment peut-être le plus marquant de cette soirée de création fut l'extraordinaire unité insufflée par Émilie Fleury et le Chœur d'enfants, impressionnants d'intense « professionnalisme » et d'une discipline hautement musicale devenue seconde nature. Pour découvrir plus sereinement ces quinze motets, rendez-vous en juin 2014, date de parution de l'enregistrement du Livre de Notre-Dame sous le Label Maîtrise Notre-Dame de Paris.

Autre intense découverte à Notre-Dame, très attendue, lors du concert du samedi 9 novembre consacré à Rolande Falcinelli (1920-2006) par Yves Castagnet au grand-orgue et Virgile Monin à l'orgue de chœur – suite et intensification du concert précédemment donné par Yves Castagnet (cf. Actualité du 23 juillet 2013). Au programme figurait une œuvre dont le souvenir le hantait depuis une trentaine d'années, vaste cycle découvert lors des fameux rendez-vous de Bellay (Ain) animés par la grande organiste, pianiste et compositrice : Le Mystère de la Sainte Messe op. 59. Œuvre formidablement singulière, conçue pour le concert mais d'une élévation et d'une spiritualité saisissantes – et inédite : il fallut tout d'abord en concocter une partition numérique, d'après l'autographe de Rolande Falcinelli, mise au net dont Yves Castagnet se chargea. Trois parties englobent les divers moments (élargis) de la messe : 
Introïtus, Kyrie, Gloria, Evangelio (1976), Credo, Offertorium, Sanctus, Elevatio (1981), Pater Noster, Agnus Dei, Communio, Ite missa est (1982). Impossible de dire en quelques mots toute la force et la grandeur d'une telle musique, d'une constante et lumineuse inventivité instrumentale, notamment dans la manière de faire dialoguer et se répondre les deux orgues, aussi importants l'un que l'autre et souverainement tenus par Castagnet et Monin, aux difficultés extrêmes de synchronisation (une centaine de mètres entre les deux consoles !) répondant des procédés superbement originaux de tuilage et de fondu enchaîné – sans renoncer à la superposition drastiquement synchronisé des deux parties. Si force et tension intérieure sont parmi les constantes de la musique de Rolande Falcinelli, personnalité au tempérament extrêmement contrasté, la poésie ne l'est pas moins – l'extraordinaire Evangelio transporte l'auditeur dans un autre monde faisant abstraction du temps et de l'espace, vivante apesanteur prolongée par d'autres pages de ce cycle superbe et étonnant.

Les fameuses auditions d'orgue du dimanche après-midi fondées par Pierre Cochereau et mises en œuvre par François Carbou ont désormais lieu le samedi soir, dans des conditions d'écoute apaisée sans comparaison avec la cohue des dimanches après-midi, mais il n'en reste pas moins que quantité d'auditeurs, peut-être simplement et librement venu entendre quelques mesures d'orgue sans intention de rester, quittèrent la cathédrale au fur et à mesure de l'œuvre, non pas d'une extrême difficulté d'accès mais assurément exigeante car s'inscrivant dans la concentration et la durée. Voilà bien une difficulté de notre époque : savoir tout simplement prendre le temps, s'abstraire, écouter, ressentir. La déambulation même silencieuse des visiteurs se retirant y fit à bien des moments obstacle… Que ne donnerait-on pour réentendre Le Mystère de la Sainte Messe dans des conditions optimales, où rien ne viendrait empêcher l'oreille et l'esprit de respirer au seul rythme de la musique ! Et peut-être un jour au disque ?

L'année du jubilé va bientôt toucher à sa fin, mais non sans un dernier temps fort de création contemporaine. Ouverte par les Vêpres de la Vierge de Monteverdi (cf. Actualité du 8 janvier 2013), cette saison s'apprête à se refermer avec les Vêpres de la Vierge de Philippe Hersant. Comment répondre au XXIe siècle au chef-d'œuvre de Monteverdi ? Ce sera tout d'abord le sujet d'une table ronde au Collège des Bernardins, le jeudi 5 décembre – avant la création de l'œuvre le mardi 10 décembre.

Michel Roubinet

Notre-Dame de Paris, les 22 octobre et 9 novembre 2013

Sites Internet :

musique-sacree-notredamedeparis.fr/

 

Photo : NDP

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