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Don Giovanni au Théâtre de Bastia - Prégnante étrangeté - Compte-rendu

Après une décennie de disette, le Théâtre de Bastia a redonné sa place à l’opéra, en partie grâce au soutien d’Emile Zuccarelli, maire de la cité natale de César Vezzani et grand amateur d’art lyrique. L’engagement des responsables politiques hexagonaux envers la musique dite « classique » est trop rare pour que l’on ne salue pas comme il se doit cette exception corse.

En 2010, une Cambiale di Matrimonio rondement enlevée par le metteur en scène Vincent Vittoz et le chef Yann Molénat marquait le retour de l’opéra dans un lieu où des travaux de rénovation s’imposaient. Pause d’un an pour effacer le plus gros des dégâts du goût « années 1970 » et du temps qui passe : le Théâtre municipal de Bastia vient de rouvrir ses portes avec Don Giovanni.

On ne change pas une équipe qui gagne : Vincent Vittoz et Yann Molenat – avec à leurs côtés Bruno Jouvenel, le patron de l’Ensemble instrumental de Corse – sont à nouveau les acteurs d’un spectacle inaugural qui, comme pour Rossini deux ans auparavant, conjugue modestie des moyens avec intelligence et efficacité dramatiques. Pas un temps mort : dès l’ouverture, pendant laquelle les protagonistes avancent lentement dans le noir, du fond de scène vers le public, le spectateur est saisi par un je-ne-sais-quoi d’étrange et de troublant. Le ton est donné. En tête du groupe de dessine la silhouette longiligne du dissoluto, long manteau noir, chapeau à large bord - très Wanderer.

Premier Don Giovanni de la carrière Vincent Vittoz, cette production bastiaise aura amené le metteur en scène à déployer des trésors d’imagination. Scène nue, un minimum d’accessoires, quelques pans de toile qui l’on tend ici ou là au gré de l’action, un peu de cordelette rouge : quasiment rien ; mais un foisonnement d’idées et, surtout, une foncière honnêteté vis à vis de la musique, des chanteurs et du public qui font du bien dans un monde lyrique où … il n’en est pas toujours ainsi.

D’un bout à l’autre baignée d’un érotisme trouble, l’approche gomme certes un peu du côté giocoso du drame – d’autant que le lieto fine est supprimé - ; c’est au profit d’un vrai regard, de vrais choix qui ne cèdent jamais rien à la vulgarité (ce bal qui vire ouvertement à la partie fine en est la meilleure démonstration).

Till Fechner (photo) campe le rôle-titre d’étonnante façon. Grand méchant homme fascinant d’ambiguïté, il est tout à l’image d’une conception dont la prégnante étrangeté doit beaucoup par ailleurs à la quasi omniprésence des six membres du chœur sur scène. Partant ils sont aussi spectateurs (et acteurs pour la manipulation des éléments de décor) d’une action souvent plongée dans la pénombre (lumières très soignées de Caroline Vandamme).

A côté de Till Fechner, on trouve d’autres aînés au parcours déjà solide : Matthieu Lécroart campe un éblouissant Leporello (avec l’aide de Vincent Vittoz, il réinvente littéralement l’archi-rebattu air du catalogue ! ), la basse Frédéric Bourreau parvient à faire le grand écart entre le rôle du Commandeur et celui de Masetto. Habitués au travail avec les jeunes chanteurs, Vincent Vittoz et Yann Molénat – tous deux professeurs au CNSMDP et vrais passionnés de pédagogie – n’auront pas été dépaysés avec ce Don Giovanni.

Côté nouvelles voix, il faut mentionner le Don Ottavio, certes encore un peu timide mais extrêmement touchant et musicien d’Enguerrand de Hys. Vraie révélation que la Donna Anna de Julia Knecht : sortie il y a quatre ans du Conservatoire de Paris, elle brûle les planches et éblouit par la beauté d’une voix aussi homogène que parfaitement à l’aise dans les vocalises. Vannina Santoni(photo), qui a terminé le CNSM il y a deux ans seulement, incarne Donna Elvira avec un feu contenu – laissons juste un peu de temps au temps pour que son magnifique potentiel vocal et scénique s’épanouisse pleinement. Celui de Laure André fait mouche en Zerlina ; mais sa richesse vocale, son piquant, sa présence - et son physique ! - lui permettent d’aspirer à d’autres rôles que celui de la petite paysanne.

La partition de Mozart constituait un beau défi pour l’Ensemble instrumental de Corse. Il l’a relevé avec talent sous la direction vivante et fluide de Yann Molenat. Le jeune chef sait cultiver le relief dramatique de l’ouvrage sans jamais négliger les besoins des jeunes chanteurs auxquels il a affaire. Un chef qui se fait aussi claveciniste pour accompagner avec non moins de vigueur les récitatifs – à un moment opportun, on aura noté un clin d’œil très bien trouvé à la Sonate KV 310 ! En ces temps de vaches maigres, il est inimaginable qu’une production aussi réussie et facilement « transportable » que celle-ci se limite à deux représentations bastiaises. Ce Don Giovanni ne peut ne pas ne pas tourner !

Alain Cochard

Mozart : Don Giovanni- Bastia, Théâtre municipal, 29 septembre 2012

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Photo : Pascal Ledhervouet
 

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