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Don Giovanni au TCE - Le jeu de la mort et du hasard - Compte-rendu

Pas de temps à perdre chez Stéphane Braunschweig : l'action démarre dès l'ouverture et si les premières images déroutent, tout prendra bientôt sens, sa réflexion répondant à une logique imparable. Leporello (La sentinelle), veille un corps allongé sur un brancard prêt à être incinéré, tandis que deux infirmières provocantes et masquées de têtes de mort, fument nonchalamment. D'un bond pourtant, Don Giovanni se redresse au grand étonnement de son valet qui se frappe les tempes, partagé entre stupeur prémonitoire et retour sur un passé bien connu. Réchauffé en un instant par la présence féminine, le dissoluto s'enfuit par la fenêtre, obligeant Leporello à (re)vivre comme dans un cauchemar, ce qu'il pensait être terminé. La partie peut donc bien commencer, ou reprendre, sous nos yeux.

Jeune homme d'affaires ou rentier aisé, Don Giovanni semble avoir convié dans son vaste château vide, quantité d'individus connus ou inconnus pour une soirée libertine. Dans un climat qui rappelle celui du dernier film de Kubrick, Eyes wide shut, à la fois inquiétant et équivoque, vont se croiser des proches, le couple Ottavio/Anna, et l'ex femme Donna Elvira, des nouveaux venus, Zerlina et Masetto, qui finiront costumés façon XVIIIème (belles créations de Thibault Vancraenenbroeck) au milieu d'un étrange bal orgiaque au cours duquel Don Giovanni sera démasqué.

Le spectacle est parsemé d’indices, comme cette poupée que déshabille Leporello pendant son air du catalogue, symbole de toutes ces femmes possédées, ou plus tard ces squelettes pieusement conservés dans leurs robes rouges, sortes de trophées qui, telles les épouses de Barbe Bleue, continuent de trôner dans une galerie du château ; rouge encore, comme la couleur des tenues des invitées que l'on découvre, comme chez Kubrick, accouplées dans des pauses suggestives et ce dans toutes les pièces, par le biais d'un décor qui tourne sur lui-même.

Manipulant son monde avec l'habilité d'un magicien, Don Giovanni, chevalier des temps modernes, séduit, ordonne ou dupe sans craindre pour son salut, jusqu’au moment où le père de Donna Anna, pourtant foudroyé par une crise cardiaque, ne s’interpose et s'invite à dîner le soir-même. Saisit, Don Giovanni fanfaronne une fois encore, avant de finir sa course brûlé dans l’incinérateur aperçu dans la scène initiale. La boucle est bouclée ; Don Giovanni immortel renaîtra bientôt de ses cendres...

Attaché au théâtre, Stéphane Braunschweig ne se contente pas de réinterpréter le mythe, mais le porte au plateau relayé par des interprètes doublement impliqués par leur chant et leur engagement scénique. Dans le rôle-titre Markus Werba est certainement un peu léger de tessiture (mais aussi et surtout plus investi que dans un récent Pagageno sur cette scène), ce maître manquant un peu de coffre pour effrayer son valet et s'en faire respecter, ce que cultive Peter Mattei chez Brook, Haneke, Carsen ou Keller. Mais il dégage un charme réel, auquel Leporello comme l'ensemble des convives ne sont pas insensibles, et se dépense sans compter pour incarner une figure dont il ressent chaque décision. Moins vulgaire et libidineux qu'à Peralada en 2012, dans la mise en scène de Roland Schwab, Robert Gleadow renouvelle son interprétation de Leporello ; il chante avec vaillance, cette fois sans tricher et joue avec beaucoup de naturel, sans jamais tirer la couverture à lui.

Très jolie femme et soprano plein d'élan, Miah Persson campe une Elvira sensuelle, volontaire et résolue à reconquérir son mari - on la découvre au lit avec Leporello pris pour Don Giovanni. Sophie Marin-Degor est une Anna convaincante, même si vocalement quelques signes de fatigue se font sentir en fin de représentation, tandis que l'on admire la finesse d'expression et la caractérisation apportées par Daniel Behle dans le rôle si souvent laissé pour compte d'Ottavio. Bon Commandeur de Steven Humes, parfait Masetto de Nahuel di Pierro pour une fois à l’opposé du nigaud habituel, stimulé par la présence de Serena Malfi (remarquée récemment à Garnier dans Cenerentola), Zerlina endiablée qui n'est pas sans rappeler la jeune Bartoli, physiquement tout du moins, dont on peut savourer l'abattage dans le piquant duo avec Leporello « Restati qua », rétabli ici.

Cette mécanique implacable tournerait à l'exercice de style si elle n'était pas servie par un chef digne de ce nom. Jérémie Rhorer et les musiciens du Cercle de l'Harmonie mettent tout leur art au service de Mozart, dont la partition est tout ensemble respectée et exaltée pour coller au propos scénique. Tempo clair et tenu sans relâche, allant naturel, tension insidieusement dosée irriguent le drame, cette lecture à flux tendu gagnant en personnalité grâce à des accents qui relèvent d'une belle intuition et à des moments de calme qui agissent comme autant de respirations. Un très beau travail de troupe.

François Lesueur

Mozart : Don Giovanni – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 25 avril, prochaines représentations les 30 avril, 3, 5 et 7 mai 2013

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Photo : Vincent Pontet – Wikispectacle
 

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