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Don Giovanni au Festival Castell de Perelada - Trash - Compte-rendu

Niché dans le parc du château, le Festival de Peralada propose chaque année au public catalan, diverses manifestations musicales et chorégraphiques où se croisent les grands noms du lyrique, de la danse, du jazz et de la variété internationale. Cette année après un Trovatore avec Leo Nucci et avant un concert de Jonas Kaufmann, la direction du festival a choisi de programmer la dernière production berlinoise de Don Giovanni signée Roland Schwab, pour la Deutsche Oper (1).

Vu en octobre 2010, ce spectacle original et provocateur, souvent inabouti, avait divisé l'auditoire mais laissé quelques bons souvenirs. Entièrement remaniée pour s’adapter à la configuration du plateau en plein air et épouser les fantasmes en perpétuelle évolution du metteur en scène, la proposition a malheureusement viré au trash et offert une parodie bien éloignée du concept initial.

L'idée d'un Don Giovanni gourou de secte, entouré de clones qui lui permettent de se démultiplier pour mieux étendre sa toute puissante et se protéger des attaques extérieures en se dissimulant derrière eux, a bien vite été écartée au profit d'une lecture où se succèdent les expériences sexuelles les plus débridées (sadomasochisme, viols, bondage, tortures...), la violence gratuite et les images choc d'une vulgarité malvenue pour des spectateurs peu acclimatés à ce type de vision. A Berlin, l’ambiguïté et le malaise conduisaient à une réflexion sur la fin d'un monde et sa renaissance prochaine, ici la décadence mène à la destruction générale et à sa seule contemplation, comme si l'homme incarné par ce Don Giovanni rebelle, n'avait d'autre alternative que de tourner en rond et de rire de tout.

A la tête de l’Orchestre de la Deutsche Oper, Guillermo Garcia Calvo montre plus de nerf et d’assurance que le lénifiant Roberto Abbado à Berlin (la partition est largement amputée au deuxième acte et sans scène finale) même si le propos se garde bien de résoudre les questions métaphysiques ou religieuses soulevées par la musique pour se contenter de soutenir correctement les chanteurs.

Carlos Alvarez domine la soirée d'une voix conquérante à la stabilité et à la technique rares, portée par un souffle inépuisable. Le baryton connaît son personnage sur le bout des doigts, fier, hâbleur et séducteur, il sait éviter tous les faux pas avec une classe et une énergie folles. Après un premier acte médiocre, Robert Gleadow s'est ressaisi au second, rectifiant le tir par un chant plus maîtrisé, se déchaînant scéniquement comme un damné pour aller au-delà de ce qui lui avait été demandé, vautrant son Leporello dans la luxure là où Alex Esposito jouait bien plus finement la servilité face à son maître vénéré et détesté.

Supérieure encore à sa prestation parisienne (au TCE en 2006), Patrizia Ciofi est une merveilleuse Donna Anna à la fois héroïque et fragile, belcantiste haut de gamme, orageuse pour aborder « Or sai chi l'onore », ciselée pendant le trio des Masques, aux aigus flottants et virtuose lors du « Non mi dir », rien ne semble arrêter cette authentique artiste. Seconda donna de poids, Ana Maria Martinez sait contraster le rôle d'Elvira, tantôt volcanique, tantôt crédule, habiter un très beau « Mi tradi » et exécuter sans faiblir les élucubrations scéniques exigées d'elle durant le finale. Doté d'une jolie voix, très légère de texture, Philippe Talbot est un Ottavio trop effacé, privé de plus de son second air « Il mio tesoro », tandis que Marko Mimica donne trop de voix à son Masetto, face à une Zerlina sans grâce (Jana Kuruçova) et à un Commandeur puissant (Rafael Siwek).

Public clairsemé et amorphe pendant toute la représentation, sans doute déconcerté par cette production choquante et déplacée en pareil lieu.

François Lesueur

Mozart : Don Giovanni – Espagne, Peralada, parc du Château, 5 août 2012

Site du Festival Castell de Perelada (jusqu’au 22 août) :
http://www.festivalperalada.es

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Photo : Josep Aznar
 

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