Journal
Don Carlos selon Lydia Steier au Grand Théâtre de Genève – Sur écoute – Compte-rendu
Luxueux début de saison genevoise sous la thématique des Jeux de pouvoir. Quelle meilleure introduction que Don Carlos donné dans sa rare version française en cinq actes (1867) ? Lydia Steier le transpose dans un régime totalitaire, se référant, dans le programme de salle, à la Stasi de La vie des autres (film de Donnersmarck, 2006) et à La mort de Staline (Armando Ianucci 2017).
Un glacial palais de bois et de granit évoque l’Escorial et Mussolini. Installé sur une tournette, ses interstices abritent l’appareillage d’une écoute généralisée. Les grands d’Espagne sont les favoris du régime et le peuple n’est que haillons. Qui complote finira pendu, macabres décorations bien utiles pour un autodafé. Lydia Steier, connue pour déborder d’idées, restera pourtant en retrait de ses intentions, d’autant que des moines encapuchonnés au milieu d’une cour communiste ne sont guère crédibles.
Les relations entre Philippe II et Posa, celles de Carlos et son ami sont peu fouillées et une certaine confusion domine la première partie. En revanche la seconde, centrée sur Philippe, Eboli et la Reine, est davantage creusée, la metteuse en scène étant à son aise dans les ressorts de l’intime. Mais pourquoi nous infliger la grossesse d’Elisabeth et réduire le magnifique personnage d’Eboli à une Mata Hari couche-toi-là ? Coincée entre l’artificiel de ses intentions et l’irréductibilité du livret, la proposition reste bancale, impuissante à incarner des scènes de foule autre que conventionnel.
© Magali Dougados
Après Les Huguenots et La Juive, Marc Minkowski est de retour à Genève pour explorer les arcanes du grand opéra français, avec son ballet obligé et ses fresques historiques. Cette fois, on reste un peu sur sa faim. L’assise et l’architecture manquent à la direction trop linéaire. Certes, les vents sont parfaits de dentelles et de ciselures, mais on espérait plus de lyrisme, pour ne pas dire de pathos, pour coloriser le monument verdien.
L’émotion régnait heureusement chez les interprètes, notamment l’Américaine Rachel Willis Sörensen, poignante Elisabeth de Valois. La rondeur du timbre lui permet d’infinies variations de couleurs (splendide « Toi qui sur le néant »). Actrice à la bienveillance naturelle, sa blondeur illumine l’obscurité des Habsbourg. Avec Charles Castronovo, elle livre un duo final qui couronne la soirée. Le ténor américain campe un Don Carlos inquiet dont le timbre se fait âpre dans ce rôle d’écorché vif, si Werther dans l’âme.
© Magale Dougados
Le Rodrigue de Stéphane Degout est superlatif. Son impeccable diction ne fait jamais dévier le regard vers le surtitrage, contrairement à ses partenaires. Sa réserve naturelle et sa noblesse offrent une mémorable agonie. Quant à l’Eboli de Eve-Maud Hubeaux, si l’on a été décontenancé par son air d’entrée, « Au palais des fées », où la voix large chercha ses marques, elle a concédé un « Don fatal » à l’intensité féroce.
Au rayon des basses, les timbres sont là. Habitué de Genève, Dmitry Ulyanov (photo, Philippe II) y a déjà incarné le beau-père de Lady Macbeth de Mtensk, le Général Koutouzov dans Guerre et Paix, le cardinal dans La Juive. Son "Elle ne m’aime pas", médiation schopenhauerienne sur le pouvoir, convainc malgré un manque de souplesse. Le bel instrument de Liang Li reste en deçà de ce qu’il nous avait offert, à Lyon l’an dernier, avec son Landgrave dans Tannhäuser. Le duel entre les deux abîmes n’a donc pas vraiment lieu.
Les comprimari sont de bonne tenue, que ce soit le Duc de Lerme de Julien Henric, le Page d’Ena Pongrac, ou le Moine de William Meinert, possible postulant au titre de Grand Inquisiteur. Quant au ballet bacchanale de l’acte III, avec son flamboiement de couleurs et de formes, il s’avère une parenthèse visuelle bienvenue au cœur de cette actualisation un peu morne.
Vincent Borel
Verdi : Don Carlos – Grand Théâtre de Genève, 17 septembre ; prochaines représentations les 21, 24, 26 et 28 septembre // www.gtg.ch/saison-23-24/don-carlos/
Photo © Magali Dougados
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