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​Die tote Stadt au Komische Oper (Streaming) – un trop joli rêve qui finit mal – Compte-rendu

Si l’on suit le livret qu’Erich Wolfgang Korngold tira lui-même du roman Bruges la morte de Georges Rodenbach, Die tote Stadt est l’histoire d’un vilain cauchemar qui finit bien. Pour la production qu’il en signait en septembre 2018 au Komische Oper de Berlin, Robert Carsen a décidé de prendre l’exact contrepied de ce présupposé, avec un résultat où brille une admirable virtuosité dans l’enchaînement des scènes, mais pour un effet total un peu en deçà de ce que l’on pouvait attendre.

Quand le rideau se lève, on est à deux doigts de se pincer pour y croire, tant le décor rappelle furieusement celui du premier acte de Rusalka à Bastille : une élégante chambre beige avec son grand lit, ses deux tables de nuit et ses deux lampes de chevet (moins leur double superposé, quand même !), voilà qui ne ressemble pas vraiment à la pièce condamnée et transformée par le héros en mémorial de sa défunte bien-aimée. Pour le deuxième acte, les parois se séparent et le mobilier se met à tourner avant d’être entièrement retiré du plateau ; les meubles reviendront ensuite avec la troupe des amis de Marietta, ou plutôt une version pailletée desdits meubles. Et là, Carsen semble délibérément tourner le dos au ressort majeur de l’intrigue, puisque le spectateur n’est normalement pas censé savoir qu’il s’agit d’un rêve de Paul.
Alors que l’ambiguïté devrait persister jusqu’au bout, le metteur en scène canadien ne cherche en aucune façon à entretenir le doute : nous sommes de toute évidence face à une vision onirique. Là où Korngold prévoyait un mélange de vulgarité et de religiosité terrifiante, Carsen offre un séduisant numéro de music-hall des Années Folles puis un ballet de statues de la Vierge, sans rien de cauchemardesque. Finalement, quand Paul étrangle finalement Marietta – scène dont on se rappelle alors qu’elle nous était montrée dès l’ouverture, Paul en étant alors en quelque sorte spectateur – il n’y a pas de fin heureuse, pas de réveil. Alors qu’il ne semblait guère déséquilibré auparavant, le héros bascule bel et bien dans la démence, et deux infirmiers en blouse blanche (son ami Frank et sa gouvernante Brigitta) viennent le cherche pour l’emmener à l’hôpital psychiatrique. Tout cela est habilement réalisé, mais on en viendrait presque à regretter la laideur autrement frappante de la production naguère présentée au Châtelet en 2001.
 

Aleš Briscein (Paul) © Iko Freese/drama-berlin.de

Dans la fosse, Ainārs Rubiķis évite lui aussi tout expressionnisme, tout débordement, comme si l’élégance beige de la mise en scène déteignait un peu sur sa direction. La distribution est dominée par la Marie/Marietta de Sara Jakubiak, qui s’était fait remarquer dans un ouvrage bien moins souvent donné de Korngold, Das Wunder der Heliane, monté en mars 2018 par Christof Loy au Deutsche Oper de Berlin. Abonnée aux rôles wagnériens (Elsa, Elisabeth, Eva, Freia), la soprano américaine ne fait qu’une bouchée de son double personnage : vocalement, elle n’y rencontre aucune difficulté, et elle manifeste une totale aisance scénique.
On n’en dira pas tout à fait autant de son principal partenaire : Aleš Briscein est un Paul théâtralement convaincant, d’autant qu’il ne lui est pas demandé ici de montrer cette folie dont il devrait être atteint, mais sa voix n’a pas tout à fait les couleurs du heldentenor qu’on aimerait entendre ici. Le timbre est clair, un peu à la Klaus Florian Vogt, mais désagréablement nasal, et l’on se demande si le ténor tchèque a raison de se détourner de son répertoire antérieur (encore Alfredo ou Roméo en 2018, il fut notamment Lenski dans l’Eugène Onéguine monté par Barrie Kosky à Berlin) au profit de rôles plus lourds. Surprise avec Günther Papendell, un des piliers de la troupe du Komische Oper, qui aborde d’une voix étonnamment plate, presque engorgée, l’air de Fritz, soit le deuxième tube de la partition après le Mariettas Lied. Autour d’eux, Maria Fiselier propose une Brigitta très digne, et les personnages secondaires sont fort bien tenus.

Laurent Bury

Korngold : Die tote Stadt – Disponible jusqu’au 28 mars 2021 sur : https://operavision.eu/fr/bibliotheque/spectacles/operas/die-tote-stadt-komische-oper-berlin#
 
Photo © Iko Freese/drama-berlin.de

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