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Demi-Véronique au Théâtre des Bouffes du Nord – Mahler entre demi-soupir et pantomime – Compte-rendu

La compagnie La Vie brève est habituée des spectacles iconoclastes, avec de préférence une touche musicale (que rappellerait son intitulé, allusif à l’opéra-zarzuela de Falla). On se souvient ainsi de Crocodile trompeur, d’après Didon et Énée de Purcell en 2013, ou de Orfeo, Je suis mort en Arcadie d’après L’Orfeo de Monteverdi début 2017 (1), tous deux au Théâtre des Bouffes du Nord. Ce collectif théâtral revient en ce même théâtre avec son dernier spectacle, qui une fois encore sort des sentiers battus, Demi-Véronique.
 
Car comment qualifier ce spectacle ?... On peut certes faire mention de théâtre, mais de théâtre sans paroles (hors le prologue). On pourrait parler de théâtre musical, puisque la Cinquième Symphonie de Mahler sert de fond musical, d’illustration sonore. On pourrait penser alors à du ballet, pour le jeu des intervenants, chorégraphié certes mais si peu dansant. Nous préférons qualifier de pantomime, un genre qui a une longue tradition, cette épopée mimée où les gestes et les mouvements s’enchaînent et se répondent à coups de cascades.

© Jean-Louis Fernandez
 
Le titre lui-même de la pièce semble une énigme. On serait tenté d’y voir un écho d’André Messager et son opérette Véronique… Que nenni ! Jeanne Candel, Caroline Darchen et Lionel Dray, les concepteurs et intervenants du spectacle, s’en expliquent : « La Demi-Véronique est en tauromachie le nom d’une passe durant laquelle le torero absorbe le taureau dans l’éventail de sa cape, le conduit dans sa courbe serrée jusqu’à la hanche, en contraignant l’arrêt de sa charge. Comme le soupir en musique, c’est une pause, une suspension à partir de laquelle tout peut recommencer et se transformer. » C’est effectivement comme cela que l’on vit cette heure de spectacle. Et d’ajouter : « La Cinquième Symphonie de Mahler est la matrice de cette création. »
 
Il y a donc cette symphonie, omniprésente, mais diffusée par hauts parleurs (version Claudio Abbado en 2004 avec la Philharmonie de Berlin), à la manière de certaines musiques de ballet. Les trois intervenants se font alors mimes, acrobates, comédiens muets, dans une série de séquence que la musique transcende et qui tient de la performance au sens plastique : chocs, percements, déchirures, entre eaux et feux d’un décor cramoisi et carbonisé qui se prête tant à l’aspect délabré des Bouffes du Nord. Un moment suspendu, effectivement. Lionel Dray, à qui revient aussi un inénarrable prologue parlé (seul moment parlé) avec imitation et propos de Jean-Luc Godard, se bagarre et se trémousse avec ses deux complices, Jeanne Candel et Caroline Darchen, dans un joyeux et ravageur délire. La scénographie de Lisa Navarro, faite de riens, ce décor de fond de plateau tout de noir et destiné à être brisé, un sol caverneux de sables et d’eaux équivoques, constitue alors le meilleur des contextes à ce chaos visuel impitoyablement réglé, que nimbent les évocations multiples des images musicales mahlériennes.
 
Pierre-René Serna

(1) Voir notre compte-rendu : www.concertclassic.com/article/orfeo-je-suis-mort-en-arcadie-au-theatre-des-bouffes-du-nord-monteverdi-sauce-piquante
 
Demi-Véronique, création collective de La Vie brève sur la musique de la Cinquième Symphonie de Mahler – Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, 13 novembre ; prochaines représentations : 14, 15, 16 et 17 novembre 2018 / www.bouffesdunord.com/fr/calendrier/demi-veronique
Reprises en tournée : Scène nationale Brive / Tulle, 5 mars 2019 ; Théâtre de Nîmes, 20 et 21 mars 2019.

Photo© Jean-Louis Fernandez

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