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De Atys aux fables de La Fontaine - Une interview de Iakovos Pappas, directeur musical de l’Ensemble Almazis

La musique française est depuis toujours la passion de Iakovos Pappas, claveciniste et directeur musical de l’Ensemble Almazis. Il s’apprête à faire découvrir au public de l’Opéra Comique des fables de la Fontaine de Clérambault (1676-1749) lors d’un spectacle lyrique haut en couleur qu’il met en scène et interprète avec le baryton-basse Paul-Alexandre Dubois.

On sait moins– ou l’on feint d’ignorer… - dans le landerneau parisien que Iakovos Pappas est à l’origine d’un Atys, représenté au Megaron d’Athènes en janvier dernier avec les forces du Centre de Musique Baroque d’Athènes – rien moins que la première production nouvelle de l’ouvrage de Lully depuis celle du tandem Villégier/Christie à Favart ! Et le CMBA n’a pas fini de nous surprendre : Tancrède de Campra et « l’autre » Barbier de Séville, celui de Giovanni Paisiello, sont à l’affiche d’ici à la fin de la saison.

Pouvez-vous nous présenter ces fables de La Fontaine de Louis-Nicolas Clérambault ?

Iakovos Pappas : Les fables se partagent en six recueils publiés à Paris dans les années 1730. La Chassagne, le librettiste de Clérambault, a en fait adapté les fables de Jean de La Fontaine. Celles-ci sont en vers libres et ont fait l’objet d’un travail de re-versification, en vers de six pieds en général, très faciles à chanter. Là-dessus Clérambault a pris des airs à la mode (vaudevilles, noëls, airs d’opéras, etc.) et a réussi, en ajustant les choses avec La Chassagne, à faire en sorte que les airs collent parfaitement avec les paroles – un travail fantastique ! Ils sont même allés plus loin encore car il arrive que la même musique accompagne des fables différentes.

Comment avez-vous construit le spectacle, la mise en scène autour des fables que chante Paul-Alexandre Dubois ?

I. P. : Parmi les fables de Clérambault, soixante-dix environ, nous avons retenu dix-huit pièces de caractère animalier, ce qui rend le spectacle très accessible pour tous, y compris les enfants. De grands « tubes » (Le loup et l’agneau, Le corbeau et le renard, la cigale et la fourmi, etc.) se mêlent à des pages moins célèbres, le tout entrecoupé de quelques pièces pour clavecin en rapport avec les thèmes des fables (ex. La Poule de Rameau, La Chasse de Dandrieu, etc.). L’idée du spectacle est qu’un personnage un peu bizarre, un directeur de ménagerie ambulante, incarné par Paul-Alexandre Dubois, songe aux fables et se met à délirer autour d’elles – délire que les masques conçus par Didier Boulais permettent de souligner. L’acteur-chanteur qu’est Paul-Alexandre Dubois est la personnalité rêvée pour mettre en valeur ces pages de Clérambault.

Comment s’organise le fonctionnement du Centre de Musique Baroque d’Athènes que vous avez fondé en 2008 ?

I. P. : Je dois vous avouer que nous sommes un peu partis du néant… Fort du constat que, depuis la disparition du Studio Baroque de Versailles, on n’a jamais voulu refaire cette institution en France, j’ai développé un projet comparable en Grèce avec le Centre de Musique Baroque d’Athènes - dont le centre de gravité est la voix, c’est un aspect à mes yeux essentiel. A ce CMBA est venue se greffer une structure, « Le Petit Opéra du Monde », dont le but est de réaliser des productions d’œuvres rarement ou jamais montées, sans pour autant exclure des partitions plus célèbres, avec le souci permanent de l’insertion des jeunes professionnels.

Il s’est avéré que tout était à faire en Grèce en matière de musique française baroque ; j’ai donc choisi de mettre l’accent sur elle, sans pour autant exclure d’autres répertoires. « Le Petit Opéra du Monde » prépare des productions, financées entre autres par le Ministère de la jeunesse et des sports, par l’équivalent grec de La Poste et par divers sponsors privés. Nous avons trois ou quatre productions par an, ce qui est considérable à notre échelle. Autre point important en ce qui concerne l’insertion des jeunes que j’évoquais : chaque saison, le CMBA présente une production en version dite « pédagogique » et la saison suivante elle est reprise en version « professionnelle », avec des chanteurs confirmés venus de l’extérieur (par exemple dans Atys : Sébastien Monti pour le rôle-titre, Caroline Chassany pour celui de Cybèle ou encore Jean-Marc Savigny pour un travail formidable avec le choeur) qui se mêlent aux élèves dans un travail d’équipe extrêmement formateur pour ces derniers. Atys avait ainsi donné en mai 2009 en version « pédagogique » légère et nous avons repris l’ouvrage début janvier avec une équipe d’une soixantaine de chanteurs et instrumentistes.

Atys est un ouvrage mythique pour les amoureux de musique baroque… Comment s’est déroulée cette production il y a deux mois ? Une première en Grèce je crois ?

I. P. : C’était même la première fois que l’on montait un Lully en Grèce – tout comme pour Charpentier avec Médée en décembre dernier, ou pour Campra avec Tancrède dans quelques semaines. Les jeunes chanteurs (moyenne d’âge 28-30 ans) se sont impliqués avec un rare enthousiasme dans un projet où un travail en profondeur a été mené tant pour la prononciation, que pour le théâtre, la gestuelle, sous la conduite du metteur en scène Vassilis Anastassiou. Inutile de préciser qu’un choc d’ordre ontologique s’est produit pour de jeunes artistes qui ne connaissaient souvent de l’opéra que Verdi ou Puccini …

Avez-vous été tenté de leur faire goûter à la prononciation « restituée » ?

I. P. : De quoi s’agit-il ; ça existe ? Ça n’existe pas ! Toutes les sources que je connais contredisent totalement ce qu’on nous donne parfois à entendre et il y a une unique chose que toute personne sérieuse devrait se dire à ce sujet : je n’y étais pas ; je ne sais pas comment ils prononçaient. Et ce ne sont pas quelques Canadiens au bord de l’Atlantique qui vont me dire comment on prononçait le français au XVIIIe siècle à Paris…

Puis-je vous demander quelques exemples s’agissant de cette prononciation restituée que vous contestez ?

I. P. : Bien sûr, mais ce serait trop long dans le cadre de notre entretien... N’imaginez pas que je me dérobe : je vous promets de vous adresser à la fin de la saison, si vous avez la possibilité de le porter à la connaissance des internautes, un document étayé d’exemples précis auquel je travaille depuis un moment.

C’est noté !

Propos recueillis par Alain Cochard, le 7 mars 2010

Les fables de La Fontaine
Fables mises en musique par Louis-Nicolas Clérambault
Paul-Alexandre Dubois (baryton-basse), Iakovos Pappas (clavecin)
Opéra Comique/ Salle Bizet
Les 19 et 21 mars à 11h
www.opera-comique.com

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Photo : DR
 

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