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Cyrille Dubois, ténor – En attendant Cœlio
Après avoir vu Cyrille Dubois prendre son essor dans la riche pépinière de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris entre 2010 et 2012, on l’a entre autres entendu la saison passée dans Le Désert et Le Saphir de Félicien David. Tokyo l’a découvert le mois dernier dans Les Contes d’Hoffmann et on l’attend avec impatience dans le rôle de Cœlio, le jeune premier des Caprices de Marianne (1954) d’Henri Sauguet. Cette perle rare du répertoire français de l’après-guerre entame une longue tournée à l’instigation du Centre Français de Promotion Lyrique (un projet sur deux saisons bâti sur le modèle d’un très applaudi Viaggio à Reims). A l’approche de la première des Caprices à l’Opéra de Reims, le 17 octobre, Concertclassic a interrogé un ténor plein d’avenir et d’une enthousiaste curiosité envers la musique française.
La musique française domine largement votre agenda : est-ce le fruit du hasard ou la conséquence d’un choix délibéré ?
Cyrille DUBOIS : Rien d’un hasard, c’est moi qui essaie de me positionner sur un répertoire dont je me sens proche et dans lequel je cherche à donner le meilleur de moi-même. Le répertoire français est une musique que, par certains aspects, on ne connaît pas très bien, à laquelle on s’intéresse moins et dans laquelle il y a vraiment des choses à défendre. En tant que jeune chanteur français il me semble nécessaire d’ «actualiser » la manière de l’aborder.
Il est vrai qu’il s’agit dans pas mal de cas d’œuvres auxquelles on n’a accès que par des enregistrements anciens et un peu… « datés » souvent.
C.D. : C’est tout à fait mon point de vue. Il y a une esthétique, une façon de chanter, de prononcer les mélodies ou les opéras français qui a été relativement peu actualisée. Mais certains, je pense notamment à François Le Roux, on fait un travail incroyable sur ce répertoire et j’essaie de continuer dans cette voie.
J’ai l’impression que la mélodie française est votre jardin secret, un lieu où vous vous ressourcez ?
C.D. : Absolument, j’ai découvert la mélodie au Conservatoire de Paris grâce à deux professeurs extraordinaires, Anne Le Bozec et Jeff Cohen, qui m’ont mis sur la voie de ce genre musical. Ce que j’aime dans la mélodie c’est être responsable de mes choix artistiques. Lorsqu’on est sous la baguette d’un directeur musical, on s’applique à défendre les choix que lui fait. Dans le lied et la mélodie, le chanteur est responsable de ses choix et je trouve intéressant de défendre ce qui est au plus près de ma personnalité. La mélodie est en genre que j’adore vraiment et que j’essaie de pratiquer de plus en plus. Il y a une infinité de pages à faire, à découvrir ou à redécouvrir. Il y a des gens, je pense notamment à l’équipe du Palazzetto Bru Zane, qui déterrent des pépites de compositeurs parfois totalement méconnus. Par exemple ces pages de Benjamin Godard que je ferai l’année prochaine ou celles de Félicien David ou Théodore Dubois que j’ai eu l’occasion d’interpréter. Ce sont des musiques qui, vues à travers le prisme de la modernité, peuvent paraître un peu datées mais qui ont toute leur place dans l’évolution du genre.
S’agissant de la mélodie française, avez vous des projets d’enregistrements ?
C.D. : Avec Tristan Raës, pianiste avec lequel je forme le Duo Contraste, nous allons donner en concert et enregistrer un programme de mélodies dans la série « Musiciens de la Grande Guerre » du label Hortus. Il s’agira de pages pour certaines inédites au disque. Clairières dans le ciel de Lili Boulanger constituera la pierre angulaire du programme et sera entouré d’œuvres de Ropartz, De la Presle, Migot et Vellones. Venise et le Palazzetto Bru Zane, qui nous soutient, auront la primeur de ce programme, qui sera ensuite donné aux Invalides, le 12 janvier (1). Nous prévoyons d’enregistrer en mars pour une sortie fin 2015.
De 2010 à 2012, vous avez été pensionnaire de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris. Qu’avez-vous principalement retiré de la période passée dans cette institution ?
C.D. : Ça a été une expérience très profitable. A l’Atelier Lyrique on bénéficie de la force de frappe, de communication de l’Opéra de Paris tout en étant protégé dans un cocon et en disposant de conditions de travail vraiment sensationnelles pour se préparer au mieux à la carrière de chanteur. On y rencontre des interprètes de premier plan, on y crée des spectacles dans des conditions idéales avec beaucoup de temps de préparation. Au-delà de l’opéra, il y a aussi l’aspect musique que chambre que Christian Schirm s’est attaché à installer. Cela permet de proposer du répertoire qui nous tient à cœur, guidé par le programme qu’envisage Christian évidemment, et j’ai ainsi pu interpréter des choses telles que les Canticles de Britten.
Venons-en aux Caprices de Marianne : avez-vous avez découvert cette partition oubliée à l’occasion du lancement du projet du Centre Français de promotion lyrique ?
C.D. : Oui, mais je n’étais pourtant pas complètement vierge de la musique de Sauguet. J’avais déjà creusé un peu du côté des mélodies et j’ai participé en 2012 à l’enregistrement à Radio France de Tistou les Pouces Verts. Il reste que j’ai découvert Les Caprices en ouvrant la partition.
Quelle a justement été votre première impression lorsque vous vous y êtes plongé ? Comment votre perception a-t-elle évolué en travaillant le rôle de Cœlio ?
C.D. : C’est une musique très difficile de prime abord et l’on se demande comment on va la défendre. Et puis, phénomène comparable à celui que l’on connaît dans la musique contemporaine, au fur et a mesure du travail on comprend comment fonctionne le langage du compositeur et on découvre des choses intéressantes à faire ressortir. Il faut faire vivre cette musique ; elle ne vit pas forcément par elle-même ; faire vivre chaque voix, chaque mot et c’est ainsi que l’on peut en tirer le meilleur. C’est une musique très savante, la difficulté pour les interprètes est de parvenir à rendre simple ce côté savant.
Et ce rôle de jeune premier que vous incarnez ?
C.D. : Cœlio est en effet un jeune premier comme on en fait depuis la nuit des temps, à ceci près qu’il a une psychologie compliquée. Sauguet l’a écrit très dépressif et il faut éviter de tomber dans le pathos, ce qui consituerait le degré zéro de l’interprétation de ce personnage. Avec Oriol Tomas, le metteur en scène, nous nous efforçons de le rendre sympathique. Cœlio est un adolescent qui se pose énormément de questions. Il paraît que la jeunesse actuelle est déprimée : en ce sens c’est un personnage assez actuel, on y trouve une sorte de dépression amoureuse, il ne parvient à se situer. Son ami Octave est toujours jovial et lui s’interroge sur l’amitié, l’amour, la mort, etc.
Quelle est l’optique choisie par Oriol Tomas et son équipe pour faire revivre Les Caprices de Marianne ?
C.D. : Le parti pris est de ne pas du tout se situer à l’époque de Musset et pas tout à fait à celle de Sauguet, mais un peu après. Oriol propose une idée entre Sauguet et nous, dans les années 70. Nous essayons de rendre l’œuvre la plus vivante possible. J’ai découvert Oriol avec cette production. Il est venu en nous proposant ses idées et nous laisse la possibilité de faire évoluer sa façon de voir les personnages. De plus, le fait de travailler en double distribution(2) laisse place à des approches différentes selon l’interprète. Il ne s’agit pas de se calquer sur la vision du metteur en scène mais de trouver, en concertation avec lui, une vision du personnage qui correspond à notre sensibilité.
Propos recueillis le 25 septembre 2014, par Alain Cochard
(1) 12 janvier 2015 à 20h, Grand Salon du Musée de l'Armée : http://www.musee-armee.fr/programmation/concerts.html
(2) Cyrille Dubois alterne avec François Rougier dans le rôle de Cœlio
Henri Sauguet : Les Caprices de Marianne
17 et 18 octobre 2014
Reims – Opéra
Pour la suite de la tournée : www.cfpl.org
Site de Cyrille Dubois : cyrilledubois.free.fr
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