Journal
Crésus de Keiser à l’Athénée – Un régal ! – Compte-rendu
Œuvre d’un compositeur couvert de gloire – Keiser faisait les beaux soirs du Theater am Gänsemarkt de Hambourg –, Crésus (ici dans sa seconde version de 1730, remaniement en profondeur d’une première mouture de vingt ans antérieure) est une œuvre aux couleurs de la vie, où le sort du riche roi de Lydie, capturé, condamné au bûcher et finalement gracié par Cyrus, roi de Perse, fournit prétexte à une partition foisonnante par la variété de ses atmosphères, des personnages qu’on y rencontre et des sentiments qui s’y expriment, des plus élevés aux plus triviaux.
Ramiro Maturana (Crésus) et Benoît Rameau (Solon)
Début de spectacle avant le spectacle puisque, tandis que le public prend place dans la salle, puis pendant l’ouverture, les protagonistes sont déjà sur le plateau, nous plaçant d’emblée dans l’ambiance bling bling, alcoolisée et partouzeuse de la cour de Crésus. On se demande un peu où Bénichou veut nous conduire (d’autant que des photos de dirigeants politiques actuels, ici Trump ou Macron, là Poutine, apparaissent aux débuts de l’ouverture, tels des masques tenus devant les visages). Crainte vite dissipée par une mise en scène qui, dans la scénographie aussi sobre qu’efficace et fonctionnelle d’Amélie Kiritizé-Topor (avec Mathieu Cabanes aux lumières et Bruno Fatalot aux costumes), assume avec une liberté joyeuse la variété et la mobilité des situations qui se succèdent au cours des trois actes. Des moyens tout simples, à la manière des spectacles (à visée itinérante) de l’Arcal ? Certes, mais on ne voit pas passer les trois heures que dure la soirée, avec seulement un court entracte, tant la vitalité et le renouvellement permanent du propos séduisent. Vrai cadeau pour un metteur en scène que la partition de Keiser il est vrai.
Cadeau pour le chef aussi ! Johannes Pramsohler, à la tête de la vingtaine de musiciens de l’Ensemble Diderot, lui fait honneur, sachant trouver l’équilibre parfait entre l’élan de la phrase et l’approfondissement des détails d’une orchestration particulièrement riche et inventive – le décor, l'action sont aussi dans la fosse ! Et quelle attention manifeste-t-il continûment envers des chanteurs qui, soudés par une belle énergie collective, se montrent toujours à la hauteur de l’enjeu, nous dévoilant une galerie de personnages fermement dessinés.
Charlie Guillemin (Elcius) © Julien Benhamou
En Crésus, le Chilien Ramiro Maturana (photo) séduit par la richesse de son instrument et d'une incarnation qui sait traduire la transformation psychologique du souverain captif. Le sombre baryton d’Andriy Gnatiuk (Cyrus), en non moins belle forme vocale, épouse le caractère d’un personnage dont Benoît Bénichou renforce la malignité par une petite licence (il demande au roi de Perse d’empoisonner les coupes de champagne au moment du happy end). Eprise d’Atys, Elmira se voit confier par Keiser quelques uns des plus beaux moments de l’ouvrage et la princesse mède trouve en Yung Chung Choi une interprète aussi lumineuse que sensible. Elle remporte un franc succès à l’applaudimètre, suivie de près par l’Atys d'Inès Berlet, d’une fraîcheur et d’une spontanéité irrésistibles. Tout oppose Orsanes et Eliates, les deux princes lydiens, et plus encore dans la mise en scène de Benoît Bénichou. Arrivé sur la production il y a une semaine en remplacement de Laurent Deleuil, souffrant, Wolfgang Resch épate par sa présence vocale et la libidineuse fourberie de son rôle, en contraste radical avec l’Eliates, très cage-aux-folles, d’un non moins convaincant Jorge Navarro Colorado. Touchante Clérida de Marion Grange. Avec un brin de réserve parfois lors de cette première, Benoît Rameau campe un beau Solon. Quant à Charlie Guillemin, il apporte une formidable gouaille vocale à Elcius, rôle de serviteur dont Benoît Bénichou exploite tout le potentiel comique – et tant pis pour les pisse-froid !
Encore cinq dates à l’Athénée ; reprise mi-octobre au Perreux-sur-Marne, puis en avril à Herblay.
Alain Cochard
Photo © Amélie Kiritzé-Topor
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