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Così fanciulli de Nicolas Bacri aux 6èmes Envolées Lyriques de Rueil-Malmaison - Une comédie mozartienne réussie - Compte-rendu

Fiordiligi, Dorabella, Ferrando, Guglielmo, Despina, Don Alfonso : les personnages sont bien ceux de Mozart et Da Ponte. L’orchestre – une vingtaine de musiciens – pourrait aussi bien être celui de Mozart. Ce n’est cependant pas Così fan tutte que met à l’affiche le Théâtre André Malraux de Rueil-Malmaison, en clôture du 6e festival Envolées lyriques, mais Così fanciulli, un opéra de Nicolas Bacri créé voici deux ans à l’initiative d’Opera Fuoco, compagnie lyrique fondée et dirigée par David Stern.

Associé à l’écrivain Éric-Emmanuel Schmitt, mozartien fervent, auteur du livret, le compositeur a ainsi imaginé un « avant » à l’intrigue de Così fan tutte : on y voit se former les couples, encore adolescents, de Fiordiligi et Guglielmo, Dorabella et Ferrando – ceux qui seront mis au défi de la fidélité dans l’opéra de Mozart. On les voit surtout œuvrer pour empêcher l’idylle de se nouer entre Don Alfonso, leur professeur de chant, et Despina, servante dans la maison des jeunes filles. Tout cela fait une habile mise en abyme, qui permet à Nicolas Bacri de faire chanter Mozart à ses personnages.

Le compositeur, né en 1961, est bien l’homme de la situation. Il révère depuis longtemps les formes classiques : sa Symphonie « Sturm und Drang » de 1995, par exemple, est un modèle d’appropriation d’un langage hérité de Haydn. Il possède un vrai sens harmonique qui lui permet de tour à tour s’approcher et s’éloigner du style mozartien. De fait, sa musique ici évoque souvent le Prokofiev de la Symphonie « classique ». C’est une musique faite pour soutenir l’action, qui prétend moins à l’invention qu’à l’efficacité ; un peu à la manière de Bernstein, Nicolas Bacri sait faire feu de tout bois pour dégager l’atmosphère de chaque scène.

C’est aussi un bel exercice pour les voix. Car Così fanciulli (« Ainsi font les enfants ») est aussi un opéra pour jeunes chanteurs en même temps que pour jeune public. Aux premiers, il destine une écriture claire qui vise la nudité de l’expression. Au second, il offre une démonstration d’art lyrique : la première scène, notamment, met en scène la répétition d’airs de Così fan tutte par le quatuor d’adolescents (toujours cette intelligente mise en abyme) et fait entendre les tâtonnements d’une interprétation juste.

C’est aussi par le livret que l’œuvre peut parler à un public adolescent. Dans un français vif et rythmé, Éric-Emmanuel Schmitt parle de la naissance du désir et des jeux cruels qui se jouent au sortir de l’enfance, au temps de la fin de l’innocence. Seule la fin de l’ouvrage, par trop mélancolique, où le rythme s’alentit, paraît un peu plus faible : le livret est alors plus démonstratif, s’efforçant de faire la jonction avec Così fan tutte, et la musique s’enferre dans des réminiscences alanguies de la Neuvième Symphonie de Mahler. Peu importe : à la tête de l’orchestre Opera Fuoco, auquel se joint la Maîtrise des Hauts-de-Seine, David Stern anime cette musique élégante et versatile avec un enthousiasme communicatif indéfectible.
 
La mise en espace d’Anaïs de Courson, très dynamique, fait vivre les personnages incarnés avec beaucoup de naturel et d’énergie par les jeunes solistes de l’Atelier lyrique d’Opera Fuoco, qui reprennent ici les rôles qu’ils avaient créés : Julie Prola (Fiodiligi) et Sophia Stern (Dorabella), particulièrement convaincantes dans leur « duo de la vengeance », Sahy Ratianarinaivo (Ferrando) et Alexandre Artemenko (Guglielmo), impayables dans la scène du cours de chant. Dans le rôle de Despina, Natalie Pérez révèle une belle puissance vocale et expressive, un esprit tout mozartien, tandis que Pierrick Boisseau apporte au rôle de Don Alfonso profondeur et justesse. On aimerait dès lors entendre tous les protagonistes de cet « opéra prologue » très réussi accompagner leurs personnages jusque dans Così fan tutte.
 
Jean-Guillaume Lebrun

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N. Bacri / E.-E. Schmitt : Così fanciulli  - Rueil-Malmaison, Théâtre André Malraux, 10 mai 2016.

Photo N. Bacri © Eric Manas

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