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​Così fan tutte selon Laurent Pelly au Théâtre des Champs-Elysées - Les malheurs de Così – Compte-rendu

 
Mais comment Laurent Pelly a-t-il pu penser que Così fan tutte l’une des œuvres les plus complexes de la trilogie Mozart/Da Ponte, pouvait se satisfaire d’une seule idée de départ – bien mince qui plus est – pour raconter ce curieux marivaudage ? Lui si drôle, si incisif, si enclin à dynamiter certaines situations datées, s’est contenté ici de transposer l’intrigue dans un studio d’enregistrement (comme avant lui Christof Loy à Salzbourg en 2011, dans une Femme sans ombre de triste mémoire) où les protagonistes vont rapidement se glisser dans la peau de leur personnage : « Le spectacle (nous explique-t-il dans le programme !) débute par une session d’enregistrement de Così et petit à petit chacun des interprètes devient le personnage même de l’opéra ».
 

© Vincent Pontet

Si les premières scènes sont amusantes, l’agitation des artistes face à leur partition et aux micros qui captent leur interprétation est plutôt bien menée, le passage de ce monde codifié à celui du livret est très malaisant car le metteur en scène se limite à une lecture prosaïque où les conventions le plus banales reprennent leur droit. Comment croire à la confusion des sentiments dans pareil décor (Chantal Thomas), comment approuver le recours au travestissement le plus maladroit dont Guglielmo et Ferrando font les frais en « albanais » de pacotille, ou supporter le ridicule déguisement de Despina (en médecin puis en notaire), alors que les autres personnages ainsi que le chœur ne quittent pas leurs affreux vêtements de ville (Pelly et Delmotte). Ce traitement convenu ne fait que souligner le manque d’ambition de cette mise en scène, la paresse du propos qui, à défaut de procurer un choc ou une friction, ne suscite que d’abondants bâillements.

Ceci est d’autant plus regrettable que Laurent Pelly dispose d’une distribution, 100 % française, extrêmement motivée, que l’on sent frustrée de devoir se suffire d’indications scéniques si pauvres et si plates théâtralement.
 

© Vincent Pontet

Gaëlle Arquez (Dorabella) et Vannina Santoni (Fiordiligi) forment un duo de sœurs parfaitement assorties physiquement (la brune et la blonde, la verte et la bleue) et vocalement, la mezzo n’appelant aucun reproche grâce à une voix souple et homogène conduite avec le charme et la pétulance nécessaire. Malgré son élégance stylistique et son tempérament de feu la soprano tutoie pour le moment encore l’idéal, son instrument pour vaillant qu’il soit n’ayant pas toutes les dispositions pour affronter les écarts et la virtuosité du « Per pietà » plus périlleux encore que le premier air. Beaucoup plus sage que chez Rossini, Florian Sempey campe un Guglielmo agréablement tempéré, rehaussé par son timbre chaud et ambré, lui aussi formidablement apparié à son fidèle ami. Le Ferrando de Cyril Dubois se distingue par sa douceur et son raffinement vocal de précieux atouts qui lui permettent de culminer dans ses deux airs chantés à ravir. Contrairement à ces deux jeunes collègues, Laurent Naouri ne laissera pas de souvenirs impérissables dans le rôle de Don Alfonso. Nous l’attendions roublard et imposant, excentrique et respectable alors qu’il peine à convaincre tant par son jeu rigide et sans fantaisie, que par sa voix grise au timbre sec et à l’italien relâché. Réminiscence des années 80, la soubrette Despina est ici le double de Marie-Pierre Casey dans une célèbre publicité pour Plizz (« Et c’est tant mieux parce que j’ferais pas ça tous les jours ! ») à laquelle la jeune soprano Laurène Paterno tente de redonner vie d’une voix insupportablement acide et sans une once de grâce.

En fosse, Emmanuelle Haïm met beaucoup de temps à chauffer ses instrumentistes du Concert d’Astrée, dirigés à très vive allure durant tout le premier acte notamment. Après une ouverture bruyante, jouée sans la moindre souplesse, la cheffe parvient à améliorer sa direction et à dispenser plus de moelleux dans son accompagnement qui, jusqu’à la dernière note, ne baisse pas la garde, ni ne perd les chanteurs de vue.

François Lesueur
 

Mozart : Così fan tutte – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 9 mars ; prochaines représentations le 12, 14, 16, 18 & 20 mars // www.theatrechampselysees.fr/saison/opera-mis-en-scene/cosi-fan-tutte
 
Photo © Vincent Pontet

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