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Compte-rendu - Werther ou le triomphe de la petite bourgeoisie


A quelques semaines de l'immense hall de gare de l'Opéra Bastille, l'Opéra National du Rhin a présenté dimanche son nouveau Werther. D'emblée, quelque chose s'est mis à fonctionner, comme si une distance étrangère était soudain abolie : Jules Massenet a trouvé un cadre et une caisse de résonance à sa vraie dimension. Quand vous avez Michel Plasson dans la fosse, c'est vous dire qu'aucune nuance, qu'aucune inflexion, qu'aucune couleur ne manquent dans la trame musicale, même si l'Orchestre symphonique de Mulhouse n'est pas a priori le plus brillant de France.

Signe des plus grands, Michel Plasson est capable de porter l'ensemble de ces musiciens au-dessus d'eux-mêmes en les unissant dans un projet esthétique commun. Si vous ajoutez que la distribution est d'une remarquable homogénéité et merveilleusement rompue au style si fragile de l'opéra comique français où alternent de façon vétilleuse dialogues parlés et grandes phrases lyriques, vous ne serez pas étonné que le feu de la passion la plus dévastatrice flambe au fil du drame. Un drame bourgeois, héritier de la comédie larmoyante de la fin du XVIIIe siècle, qui a conquis peu à peu les couches les plus populaires qui fréquentent l'Opéra Comique à la fin du XIXe siècle.

Car Les souffrances du jeune Werther, roman par lettres publié par Goethe en 1774 (année même où un certain Gluck entame sa « réforme de l'opéra » à Paris où l'a appelé son élève Marie-Antoinette !) a d'abord valeur de repère social et politique marquant à la fois l'avènement des bourgeois dans le domaine de la création artistique et celui d'une nouvelle sensibilité, celle de l'individu, du commun des mortels, au détriment du héros guerrier. C'est pourquoi le Werther de Goethe a provoqué une telle épidémie de suicides à travers toute l'Europe ! Il venait à son heure comme signe rousseauiste d'un changement de l'ordre social que la Révolution française allait entériner, le pouvoir bourgeois se substituant à celui des nobles.

Un siècle plus tard, en 1887, lorsque Massenet se saisit du roman de Goethe, aussi connu des Français que le mythe de Faust, il touche à la légende dorée de la bourgeoisie et de son ascension tout au long du XIXe siècle. A Strasbourg, où Goethe connut son idylle avec Friederike Brion, on aurait espéré que la mise en scène trouve le moyen d'évoquer ce retour au pays des héros... Il suffisait de quelques images sépia ou de vues du village de Wetzlar aujourd'hui : tel n'a pas été le dessein de Marianne Clément et de sa décoratrice Julia Hansen qui ont préféré d'obscures projections de forêts, de visages, et d'un oeil qui revient comme un leitmotiv. C'est assez pauvre.

Quant à l'idée de théâtre qui marque l'ensemble du décor, elle est joliment explicite : en guise de cadre de scène, deux bâtiments classiques mangés par la nature sauvage digne de Jean-Jacques Rousseau représentée par une pelouse très écolo qui grimpe vers le fond de scène. C'est charmant : les enfants y jouent et y cueillent de fleurs naturelles. Cela tient de la bergerie : un peu court pour le drame qui monte au long des quatre actes. Notons un tableau réussi : celui des noces d'or du pasteur qui réunit nos douze apôtres dans une parodie de Noces chez les petits bourgeois. L'intuition féminine n'est pas toujours bonne conseillère : montrer dans les deux derniers actes une Charlotte enceinte n'apporte rien et pose plus de questions hors sujet qu'elle n'en résout. Avant la pilule, la fille mère incarnait certes le péché de chair, mais Charlotte n'est pas Marguerite de Faust ! Elle a un brave mari, cette bonne pâte d'Albert...

La distribution se tire au mieux des embûches de la mise en scène jusque dans les plus petits rôles, à commencer par la volée de Petits Chanteurs de Strasbourg. Béatrice Uria-Monzon campe une Charlotte épanouie à la voix somptueuse et forme un beau couple musical avec le ténor Paul Groves qui débute dans le rôle-titre. Il y met toute son expérience de l'opéra français de Gluck à Berlioz avec un français impeccable. Au premier soir, il a buté sur le suraigu du fameux « Pourquoi me réveiller ». Dommage. Le public a été parfait. René Schirrer est un Bailli racé, Marc Barrard un Albert sensible, François Piolino un Schmidt de tradition. Mention spéciale à la délicieuse Sophie de la soprano québecquoise Hélène Guilmette, vrai rayon de soleil dans cette triste nuit de Noël.

Jacques Doucelin

Massenet : Werther - Strasbourg, Opéra National du Rhin, 3 mai 2009
Prochaines représentations :

Strasbourg : 5, 7, 9, 11, 13 mai (à 20 h)

Mulhouse (La Filature) : 24 mai (15 h), 26 mai (20 h)

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Photo : Alain Kaiser

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