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Compte-rendu : Portugal / Lisbonne fait la noce - Les Nozze di Figaro au Teatro Nacional de São Carlos

Avec ses cinq étages de loges disposés en ellipse, son imposante tribune royale due à l'Italien Apiani, ses teintes mordorées, ses colonnades et ses statues de part et d'autre du cadre de scène, le Théâtre National de São Carlos, inspiré de la Scala de Milan, est l'une des fiertés de Lisbonne. Construit en 1793 par les architectes José da Costa e Silva, il a résisté au temps et a été épargné par de nombreux incendies, comme le San Carlo de Naples. En ce mois d'avril radieux, les lisboètes pouvaient assister à de plaisantes Noces de Figaro, coproduites avec le Théâtre d'Erfurt, confiées au metteur en scène Guy Montavon et à la directrice musicale des lieux, Julia Jones.

Sur scène, un curieux mélange d'éléments historiques (la Révolution française est proche et le peuple gronde) et d'actualité (ces têtes couronnées et ces people dont les médaillons ornent les arbres du jardin stylisé au 4ème acte) se succèdent sans véritable lien, si ce n'est celui de la fin annoncée des privilèges, de l'abolition de la monarchie et l’avènement des futurs droits de l'Homme, fondements essentiels d'une République en marche que semble approuver de son regard inquisiteur Charles de Gaulle en personne. Le spectacle se veut vif et enjoué, empruntant ça et là aux couleurs acidulées d'un David Hockney ou au comique de certains sitcoms, les costumes XVIIIe revisité, s'accordant au mobilier Ikea et aux rares bergères Louis XVI.

Figaro et Susanna s'apprêtent à convoler en justes noces dans un invraisemblable bric à brac, où cartons et valises rappellent leur récent emménagement entre les appartements de leurs maîtres. Peu d'intimité dans cette demeure aux parois poreuses, où le Comte trompe son épouse (avec Barbarina) et où la Comtesse ivre de rage, accumule de manière compulsive les paires de chaussures, dans l’agitation générale. La servante aidée du valet, symboles d'une émancipation en devenir, parviendra grâce à un plan très étudié, à échapper au droit de cuissage, à épouser celui qu'elle aime, tout en piégeant le Comte qui, repenti - mais pour combien de temps ? - retournera dans les bras de la Comtesse.

Réalisation on l'aura compris sans prétention, réglée cependant comme une horloge suisse, dont les gags et l'imagerie iconoclaste ne perdent pas de vue le propos engagé et irrévérencieux de Beaumarchais, si subtilement adapté par Da Ponte.

Dans la fosse, Julia Jones impose un Mozart charpenté, sans poudre ni ruban, dont le soutien énergique et la ligne charnue, jusque dans les récitatifs accompagnés, apporte un parfait contrepoint à la lecture du metteur en scène. Joana Seara (photo) domine la distribution avec sa Susanna intrépide, chantée avec goût et jouée avec aplomb ; dommage que son air du dernier acte "Deh vieni non tardar" édulcore la poésie au profit du seul aspect rebelle. Physiquement pataud, Leandro Fischetti connaît son Figaro et le défend avec dignité, tout comme ses parents, la pétulante Marcellina de Maria Luisa de Freitas et le goguenard Bartolo de Donato di Stefano.

Marco Vinco, déjà entendu dans une Anna Bolena en version de concert donnée au Théâtre des Champs-Elysées en novembre 2008, sous la direction de Evelino Pido, est un Comte racé aux moyens percutants, mais au timbre un peu terne, tandis que la Comtesse écorchée vive de Jessica Muirhead, dont certaines sonorités fixes rappellent la jeune Anderson, rachète le manque de moelleux de son instrument par une interprétation judicieuse. Pour finir, le Cherubino libidineux de Luisa Francesconi n'a pas la douceur nostalgique d'une Von Stade, ou la prestance d'une Jurinac à laquelle elle semble vouloir se référer, mais son chant indiscipliné est compensé par un jeu soigneusement équilibré.

François Lesueur

Mozart : Le Nozze di Figaro – Lisbonne, Teatro Nacional de Sao Carlos, le 28 avril 2010

Programmation complète du Teatro Nacional de São Carlos : www.saocarlos.pt

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Photo : DR
 

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