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Compte-rendu : Petite déconvenue - Platée au Palais Garnier

On aime Platée, à l’éhonté, et l’on aime la production dérisoire, inventive, baroque jusque dans le moderne (quel plus beau compliment ?) - voyez la guerre des sexes selon Laura Scozzi au III mais pas seulement - dont Pelly et sa fidèle garde ont redoré cette vieille fantaisie.

Au fil des reprises ce spectacle est devenu le « Christmas Holiday on Ice » de Garnier, on ne s’en plaindra pas. Mais en cette matinée pluvieuse de décembre, le plateau dépareillait sensiblement la fête attendue. C’était couru mais on ne voulait pas y croire, Jean-Paul Fouchécourt a beau faire son courageux (les sauts des escaliers certes un par un, mais au fond mieux que Chaban-Delmas, à deux jambes !) et comique spectacle, il ne chante pas Platée, il la parle et escamote les aigus, renonçant au fausset (Sénéchal !) qui lui donnerait et du son et de l’altitude. Décidément Jélyotte n’a jamais été aussi loin de sa grenouille.

Que peut, après ses éloquents et sensuels Narraboth, Xavier Mas pour Thespis, sinon en tuer la vocalité et le style, regardant incrédule dans sa réjouissante gymnastique, sa voix le trahir à chaque prodige physique qu’il déploie (et le simple charme entêtant de sa silhouette, avide de lumière, n’est pas le moindre). Et pendant ce temps, Yann Beuron, attend en coulisse son Mercure en regrettant justement le beau chant ivre qu’il mettait jadis à son Thespis ! Gâchis.

Quoi dire d’Alain Vernhes, sinon que son chant est noble, alors que Cithéron, magouilleur en chef, ne l’est jamais ? Fausse bonne idée.

La Clarine de Judith Gauthier porte et dit, mais sa voix trop peu prévenue pour le petit chef-d’œuvre pré-mozartien (même si pour la critique contemporaine la prescience artistique n’existe pas) qu’est « Soleil fuit de ces lieux », montre combien lui manquent le timbre pulpeux, le legato (une faute au baroque d’aujourd’hui !), la longueur emmiellée et pourtant attristée de la voyelle, tous tombant secs comme autant de coquilles de noix. Le Satyre de Marc Labonnette passe inaperçu, la voix bue par les cintres ou par le décor (qui dans le Prologue de Platée est très soiffard : voyez l’infini buffet de verres où Thespis connaît ses premières hallucinations batraciennes), et on arrête là pour les déconvenues.

Bravo au Mercure toujours si finement joué et admirablement chanté de Yann Beuron, bravo au Jupiter sonore et ironique (pour les autres, pour lui même, comme se prémunissant contre la fatuité) de François Lis, bravo à la Junon de Doris Lamprecht qui nous convainc, au point de toujours convulsivement nous boucher les oreilles, qu’elle va bien tirer avec sa pétoire, seul vrai remède - c’est prouvé par les tribunaux - à la jalousie. Archi bravo ! aussi au Momus en Amour d’Aimery Lefèvre qui fait sombrer Garnier dans l’hilarité d’une seule de ses poses, mais dont il ne faut pas oublier le chant sostenuto, sonore et châtié jusque dans la farce. Et à genoux devant la Folie de Mireille Delunsch, comédienne terrible qui comme une Yvonne de Bray sait que la voix parle dans le chant, mais l’inverse aussi, et se souvient, sotto voce, de l’impérissable Jennifer Smith.

Chœurs et ballets, mariés dans les mêmes gestes, absolument irrésistibles ; ce sont d’abord eux qui font le show.

Une griffe à Marc Minkowski : on a connu sa Platée plus en muscle et aussi plus poète, mais au fond l’œuvre est toujours là, double, drôle et tragique, réjouissante et insupportable, et qui jamais en a mieux parlé la langue que les Musiciens du Louvre ?

Jean-Charles Hoffelé

Jean-Philippe Rameau : Platée - Paris, Palais Garnier, le 6 décembre, puis les 8, 11, 14, 17, 21, 24, 25, 27, 29 et 30 décembre 2009

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Photo : Opéra de Paris
 

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