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Compte-rendu : Naissance de l’ensemble L'Echelle - Sur les chemins d'un Lassus intimiste

A peine créé (au début de ce mois de septembre) par l'alto Caroline Marçot et le ténor Charles Barbier, l'ensemble l'Echelle chante déjà dans le jardin des grands, à la découverte d'un Roland de Lassus quasiment inconnu, dans le cadre intimiste de la cour de Bavière. Européen avant la lettre (il parlait les principales langues occidentales qu'il mêlait au latin en un sabir savant), le "divin Orlande", comme l'appelaient admirativement ses contemporains, est  entré en 1556 au service du duc Albert V de Bavière à Munich, avant d'y être nommé maître de chapelle sept ans plus tard. Passage obligé entre L'Allemagne  et l'Italie, "Minichen la jolie", comme dit l'époque, est alors un foyer humaniste majeur, une ville bienvenue pour le maître montois, kidnappé à 12 ans comme sopraniste pour le compte de la chapelle du vice-roi de Sicile!

Génie fécond et pluraliste, il y composera pour son employeur et toute une clientèle de rois, princes et riches notables, une oeuvre qui vire au symbole: 700 motets, 53 messes, 146 chansons françaises et quelque 180 madrigaux,outre ces impayables dérivés drolatiques que sont villanelles, moresques et autres pièces"alla napolitana", péchés de jeunesse à ne pas confier  à des voix ingénues! Pourtant,à la fin de sa vie, sa production s'infléchit vers la gravité et le pessimisme, perturbée par d'irréversibles tendances maniaco-dépressives contre lesquelles il s'efforcera de lutter par de soudaines explosions burlesques (conscient du mal, il écrira de lui-même:"je suis quasi pour devenir un monsieur fou!").

Reste, en marge de ce que j'appellerai les images du musicien officiel, le témoignage d'humanité enclos dans ces si attachants duos, trios et quintettes vocaux et instrumentaux qu'exhumaient fort à propos les nouveaux venus de l'Echelle. Des pages nourries, au départ, d'une sensibilité pétrarquisante, mais s'immergeant, au fil des textes, dans une délicate spiritualité. Un Lassus intime et pieux s'y épanche, qui "partage sans masque - avec les grands de ce monde comme avec ses proches - des instants d'une infinie simplicité". C'est dire qu'on applaudit à une telle initiative qui  levait le voile sur tout un pan de cette production plutôt négligée de l'Orphée belge. Un bouquet de petits chefs-d'oeuvre où passe d'abord le souvenir du "concert" vocal (canto, alto, ténor) et instrumental (cornetti et sacqueboute) à la vénitienne et qui, mieux que tout autre, nous fait entrer dans la complicité d'une musique faite d'abord pour le plaisir d'être jouée ensemble, dans le simple cadre d'un exercice privé.

Précisément, c'est de plaisir que nous parlent d'abord  les musiciens de l'Echelle, tout en ne cessant d'être attentifs aux sources vives du contrepoint. Un lien s'établit avec un décor convivial - celui de la cour du duc Albert lui-même, et de ses trois fils Ernest, Ferdinand et Guillaume Le Pieux, friands de musique autant que leur père. Reste que la reconstitution est parfois entachée d'approximations -en particulier dans l'instrumentarium - approximations qu'il importe aussitôt de relativiser, la formation venant seulement de naître. Riche d'une musicalité qui n'est pas que virtuelle (en témoigne l'agile soprano de Véronique Bourin, si souvent applaudie au sein de l'ensemble Doulce Mémoire), l'Echelle ne devrait pas tarder à trouver sa place, l'une des premières, dans le décor toujours en devenir du concert Renaissance.

Roger Tellart

Paris, Chapelle de l'Ecole Militaire, le 21 septembre 2010

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