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Compte-rendu : Les Passions et Jean-Marc Andrieu au 29e Festival de Musique ancienne d’Utrecht

Louis Quatorze : sur l’une des magnifique photos conçues par Marco Borggreve qui sert d’affiche au festival, le ton est donné. La musique française est reine à Utrecht cette année pour la première programmation dont Xavier Vandamme, directeur en fonctions depuis seulement deux ans, peut revendiquer l’entière paternité. Avec près de 120 concerts en l’espace de dix jours : le Festival Oude Muziek Utrecht n’est rien moins que le plus important festival de musique ancienne au monde. Si les musiciens du règne du Roi Soleil figurent au cœur du programme, celui-ci couvre en vérité un période plus large, de Louis XIII à Louis XVI et fait appel à une large palette d’interprètes français et étrangers. Les Talens Lyriques, Le Concert Spirituel, L’Ensemble Jacques Moderne, Céline Frisch ou d’autres formations et interprètes hexagonaux très actifs chez nous sont évidemment invités. Mais Utrecht n’a pas oublié non plus de faire honneur à Blandine Verlet, un «grande dame » du clavecin dont la présence comptait beaucoup pour Xavier Vandamme. Face à une telle marque de reconnaissance, les commentaires désobligeants que l’on découvre parfois chez nous à propos de cette immense artiste n’en paraissent que plus piteux…

Utrecht n’a pas non plus omis de faire appel à des ensembles que les scènes parisiennes snobent parfois, comme c’est le cas pour l’Ensemble Les Passions de Jean-Marc Andrieu (dont l’activité se partage avant tout entre Montauban et Toulouse). Invité pour la première fois à Utrecht, la formation dédiait un programme complet à Jean Gilles (les Lamentations et le Requiem). Un choix on ne peut plus cohérent quand on sait le travail de fond que Jean-Marc Andrieu poursuit depuis des années sur un compositeur étroitement associé à l’histoire musicale de Toulouse. Un très bel enregistrement du Requiem(1) paru il y a un peu plus d’un an en témoigne, tout comme celui constitué des Lamentations et du Motet « Diligam te Domine » sorti très récemment (2)

On ne change pas une équipe qui gagne : comme pour ses disques, Jean-Marc Andrieu a demandé à son ami et collègue Joël Suhubiette de lui « prêter » le formidable chœur de chambre Les Eléments – ce qu’il fait toujours très volontiers ! – et a repris les mêmes solistes (Anne Magouët, Vincent Lièvre-Picard et Alain Buet), à l’exception de Bruno Boterf qu’Howard Crook remplaçait pour le concert d’Utrecht.

Un concert au Domkerk à 20h durant le week-end de clôture du Festival d’Utrecht : l’honneur est grand, l’enjeu de taille et l’équipe menée par Jean-Marc Andrieu s’est toujours montrée à sa hauteur. En première partie les Lamentations pour le Mercredi Saint et le Jeudi Saint montrent combien le chef maîtrise l’écriture contrastée, changeante, très visuelle et suggestive d’une partition où, attentif aux changements d’atmosphères soudains, il manifeste un art consommé de la transition. Intense mais sans surcharge ni pathos, le propos atteint sa cible, aidé par un chœur aussi impeccable qu’investi et un quatuor vocal homogène - où l’on distinguera toutefois les émouvantes interventions du haute-contre Vincent Lièvre-Picard.

Requiem sans Dies irae, le célèbre ouvrage de Gilles est une Messe des morts d’un genre singulier, baigné d’une lumière douce, italienne, confiante. Le disque à montré à quel point Jean-Marc Andrieu a saisi la couleur spécifique d’une composition qui n’a plus de secret pour lui tant il en a consulté les nombreuses sources disponibles (le manuscrit original a disparu) et l’a donnée en concert. Une lumineuse ferveur se dégage de son interprétation, tandis que le foisonnement et fini de la partie instrumentale (mention spéciale au virtuose serpent de Volny Hostiou !) ajoutent au dynamisme de l’ensemble – et au bonheur de l’auditoire ! Domkerk plein à craquer, public d’une concentration étonnante ; lorsque les dernières notes du Post communio ont fini de résonner, le verdict ne se fait attendre : la réserve, l’apparente froideur des auditeurs disparaissent pour une standing ovation aussi immédiate que chaleureuse. L’engagement et l’humaine simplicité de Jean Marc Andrieu et de ses musiciens ont conquis les cœurs. Ils mériteraient d’être plus reconnus chez nous.

Alain Cochard

(1)1 CD Ligia Digital ( Lidi 0202196-8)
(2)1 CD Ligia Digital ( Lidi 0202212-10), dist. Harmonia Mundi

Festival de Musique ancienne d’Utrecht, Pays-Bas, Utrecht, Domkerk, 4 septembre 2010

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